{ Dirty Prince }
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 Scarlett - Rouge fille de joie

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Scarlett
Scarlett
Messages : 42
Localisation : Au cabaret au cabareeeet ♫
Âge du personnage : 26 ans
Scarlett - Rouge fille de joie Zyfwjs



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Profession ou titre: Danseuse de cabaret & prostituée
Scarlett - Rouge fille de joie Vide
MessageSujet: Scarlett - Rouge fille de joie   Scarlett - Rouge fille de joie EmptyJeu 2 Aoû - 13:06

Scarlett - Rouge fille de joie Scarle10

Scarlett - Rouge fille de joie Scarle11 Scarlett - Rouge fille de joie Scarle12 Scarlett - Rouge fille de joie Scarle13

« Bien que toute la vie elles fassent l'amour,
Qu'elles se marient vingt fois par jour,
La noce est jamais pour leur fiole,
Parole, parole,
La noce est jamais pour leur fiole.  »

La complainte des filles de joie, Brassens


    I- Le cadavre exquis

    Nom : Horvath
    {Elle le garde secret, car appartenant à une grande famille de son pays. Bien que peu de ses compatriotes se risquent dans le royaume, elle préfère que tout le monde l'ignore, et a donc gardé pour elle ce prestigieux patronyme bien qu'elle conserve, dans le fond de son armoire, du linge et du papier à lettres marqués des armoiries familiales.}

    Prénom : Scarlett, Diamant, Ildikó
    {C'est son père qui lui a donné ces prénoms, en souvenir d'une prostituée qu'il a beaucoup aimé, adoré même. Essayant de faire revivre cette femme chez sa fille, il tentera d'en faire une copie conforme de son amour passé.
    Son troisième prénom est l'œuvre de sa mère qui chercha à laisser une marque, même restreinte, chez sa fille : elle lui a donné le nom de sa grand-mère, laissant chez cette enfant aux noms davantage anglais quelque chose de sa famille maternelle et de son pays d'origine.}


    Surnom : Elle n'en a pas réellement besoin, son prénom faisant déjà office de surnom sur son lieu de travail. Scarlet évoquant la couleur rouge, érotique, la patronne n'a pas jugé utile de lui en attribuer un.

    Orientation sexuelle : Bisexuelle
    {Elle aime autant le corps des femmes que celui des hommes. Théoriquement, car sa dernière relation ne reposant pas sur l'argent date de ses quatorze ans, ce dont elle évite de se souvenir pour ne pas tomber dans une déprime carabinée sur le désert sentimental qu'est sa vie, avant de se consoler en se disant qu'au moins elle a un endroit pour travailler, une scène où danser et des filles pour papoter.}

    Fonction : Danseuse & prostituée
    {Elle occupe cette double fonction au cabaret où elle a été engagée dès les débuts de celui-ci. Elle redoute plus que tout la vieillesse (qui l'empêchera de monter sur les planches quand ses jambes seront aussi rigides que des cannes) et une grossesse (parce qu'on ne peut pas danser de manière sensuelle avec un ventre rond comme une barrique). Elle considère ce métier comme un plaisir. Et celui de fille de joie comme son véritable gagne-pain, parce que se faire tripoter par un vieux qui sue n'est pas engageant. Vrai.
    Elle se pense également comme le bras droit de Blanche, la patronne de l'endroit, n'hésitant pas à faire régner l'ordre à sa place, et ce, bien qu'on ne lui ait rien demandé (cette attitude lui vaut, chez certaines jeunes recrues de la troupe, la réputation d'aigrie et d'acariâtre, ce qui la mettrait dans une colère noire si elle l'apprenait).}


    Age : 26 ans
    {Elle hait de haine pure tous ceux qui se risquent à faire une réflexion sur son âge. On raconte qu'elle aurait même donné un coup de poing à un homme qui lui faisait remarquer que, malgré sa date de péremption approchant, elle était bien conservée. Car si Scarlett reste jeune, les filles du cabaret le sont souvent bien plus qu'elle, et elle fait figure de matrone dans ce milieu où les étoiles sont souvent des adolescentes.}
    Date de naissance : 13 mars
    Lieu de naissance : Une résidence secondaire près de Budapest, en Hongrie, entourée d'une forêt et d'un petit village tranquille.
    Origines : Hongroises

    Signes caractéristiques : Pour exercer dignement son métier et marquer les esprits de ses clients, autant que par habitude, Scarlett est toujours habillée en rouge depuis la pointe de son chapeau (bien qu'elle n'en mette que rarement, se promenant en cheveux) jusqu'à l'ourlet de sa robe. On la reconnaît donc de loin à sa silhouette écarlate qui slalome dans la foule.
    De plus, elle a pris l'habitude de forcer son accent hongrois, par fierté de ses origines. La patronne la laisse faire, l'exotisme attirant les clients qui ont peu d'occasion de toucher à des étrangères. Colorée, parlant fort et avec un accent marqué, le moins que l'on puisse dire est que la jeune femme ne passe pas inaperçue -pour son plus grand plaisir.


    Manies, habitudes : Éteindre les pipes, cigarettes et autres accessoires servant à fumer se trouvant sur son passage, car elle ne supporte pas l'odeur du tabac.

    Groupe : Iresolutes
    {La population du cabaret, du temps de la tyrannie des princes, résistait pacifiquement contre ceux-ci en essayant de récolter du monde ou en distribuant des tracts, par exemple. Cependant, Scarlett n'a jamais cautionné la résistance violente, et maintenant que celle-ci est au pouvoir, elle attend que la république fasse ses preuves et justifie ses morts.}




    Scarlett - Rouge fille de joie Scarle14 Scarlett - Rouge fille de joie Scarle15 Scarlett - Rouge fille de joie Scarle16

    « Mademoiselle de déshonneur
    Mon premier amour d'un quart d'heure. »

    La demoiselle de déshonneur, Regiani


    II – Autopsie du macchabée

    Premier acte) Et j'ai pris un corps

    Le père _ Elle courait joyeusement quand elle était petite. Elle avait de très longs cheveux que nous n'avons jamais voulu lui couper pour qu'ils gardent leur beauté, bien qu'elle l'ait fait elle-même quelques années après. Ils étaient de cette couleur si particulière, de celle qu'avait sa mère, mais que je n'ai jamais pu aimer sur elle. C'était plus qu'auburn. C'était entre le brun et le marron, c'était le mariage de ces deux couleurs chaudes qui se mélangeaient, comme une crème au chocolat noir, et au chocolat brun. Sous le soleil, c'était rouge et blond, et les reflets, vous savez, ça fait tout dans des cheveux, car des cheveux sans reflets, cela reste mort. Et dans les nuits d'hiver, quand je venais la voir dans sa chambre, et qu'elle relevait sa petite tête endormie vers moi, qu'elle me demandait « Qu'est-ce qu'il y a, Papa? », ils étaient bruns, bruns comme un volcan endormi, avec des braises rougeoyantes qui ne demandaient qu'à exploser au sommet de son crâne comme autant de feux follets endiablés. Mais quand elle courait dans le jardin, c'était le plus beau. Après elle a grandi, elle ne courait plus. Sauf après les garçons. Dans ces moments-là, ses cheveux lançaient des éclairs de luxure partout dans l'air, et, elle qui ne me voyait pas l'observer derrière le rideau de la maison, quand je voyais le visage flou du garçon qui l'attendait près du portail, semblait appeler la mort. J'aurais voulu qu'elle me rejoigne, moi, ici, sans personne, et surtout pas avec ces petits démons qui cherchaient à me l'enlever.
    Je vous ai dit qu'elle courait dans le jardin? Oui. Et elle tombait, des fois. Mais elle ne pleurait pas, même si elle avait des yeux rendus tout humides par la chute, et par le vent, le vent qui avait accéléré sa course et agressé ses yeux tandis que ses petites cuisses dures se mouvaient dans l'herbe, cette herbe qui fouettait ses mollets tandis qu'elle relevait sa jupe, ses jupons, et que l'on ne voyait plus que ses dessous virevoltants. Elle était jolie, ma Scarlett, quand elle était enfant. Elle était pure, son corps l'était, et moi, je n'osais pas trop la toucher, mais j'étais si content quand elle montait sur mes genoux et que je sentais sa chaleur qui transperçait le bas de mon ventre, quand elle passait ses mains -elles étaient si menues, ses mains, à cette époque, autour de mon cou, et qu'elle les enfouissait dans mes cheveux. Elle m'embrassait sur la joue. C'était l'autorisation. Je l'embrassais sur la bouche, comme on le fait avec les petits enfants au pays. C'était brûlant, c'était humide, irrité par la longue course dans le soleil et le froid. Elle riait. Elle avait de toutes petites dents blanches dans une petite bouche toute rouge. Elle s'est rosée, avec le temps. Les femmes perdent leur couleur quand elles grandissent. Heureusement, ma petite fille, elle avait toujours de la couleur dans ses yeux, même quand elle a grandi, même quand ce garçon est venu, même quand elle est partie. Elle avait des iris tout chauds, chauds comme ses cheveux, comme ses sourcils qu'elle avait commencé à arracher pour qu'ils soient tout fins. Elle les avait mutilé, mais elle avait toujours ses yeux. Ils étaient chocolat chaud comme du miel. C'était bon, sucré comme une friandise, comme les tartines que l'on mangeait sur les bords de l'étang avec mes frères, lorsque j'étais moi-même un enfant. Elle n'était pas très grande. C'est après qu'elle a grandi. Je lui avais appris à mettre des talons. Elle les portait si bien. Cela galbait le haut de son pied. Même quand elle était encore en jupes courtes, elle portait bien ce genre de chaussures. Je l'habillais en rouge, mon petit amour. Cela allait si bien avec ses couleurs. Elle n'a jamais refusé de mettre un habit que je lui avais fait. Elle aimait le rouge, elle aussi, vous comprenez? Alors je lui avais fait des costumes très différents, mais tous dans ce ton-là. Elle les a emportés dans sa valise quand elle est partie. Car elle est partie, ma petite fille, il y a longtemps. Elle était robuste. Elle avait des formes douces qui s'épanouissaient quand elle s'est enfuie. Elle avait des cuisses fermes et des bras tout rond. J'aimais cette harmonie. Mais elle est partie, vous savez. Il y a longtemps. Elle est passée par la fenêtre, comme l'oiseau qu'elle était quand elle courait dans le jardin. Elle était si petite. Je l'aimais tellement. Mais elle n'est pas revenue. Elle n'est pas revenue, vous savez? Ma petite fille en chocolat rouge.

    Le premier passant _ Décrit-il sa fille ou son amante?

    Le deuxième passant _ Que nous importe, lui-même ne fait pas la différence.
    Ils sortent.

    La couturière _ Quelle taille?

    Le tailleur _ 1m68

    La couturière _ Quel poids?

    Le tailleur _ 55 kilos.

    La couturière _ Commençons.


    Deuxième acte) Pour en faire une marionnette [/size]

    Coppélia _ Scarlett? Elle a un sale carafon, mais elle est pas mauvaise. Je crois. Elle n'a jamais été horrible avec moi, en tout cas. Sauf la fois où elle a renversé de l'eau sur mes rajouts, mais elle n'avait pas fait exprès. D'après elle, elle visait la vieille dans la rue qui l'avait traitée de catin purulente. Après, elle a coursé la vieille.

    Un livreur de journaux _ Ah. Je la vois seulement de temps en temps, quand je vais porter le journal au mari de la patronne. Elle a pas l'air commode.

    Un client _ Elle est magnifique. Essayez-la. Souriante, généreuse, serviable, comme toutes les filles qui sont là-bas, d'ailleurs. Des perles, ces gamines. Je vais souvent là-bas.

    Un autre _ Cette folle? Elle m'a pété le nez le jour où je lui ai dit que vingt-six ans ça commençait à faire pour remuer ses gambettes, et qu'elle ferait mieux de se trouver un mari qui lui ferait sagement des mômes. Vous approchez pas d'elle. Conseil d'ami. Ou alors surveillez vos paroles. Ou apportez du fric. Y a que ça qui les intéresse ces bonnes femmes.
    Il crache sur le sol.

    Le narrateur, dont personne ne soupçonnait l'existence jusqu'à présent_ Scarlett, au premier abord, apparaît comme une femme mature et sûre d'elle, voire légèrement condescendante. Avec ses clients, elle se montre souriante, aimable, fière, ou aguicheuse selon le moment ou les demandes. Elle maitrise la danse de cabaret, qu'elle pratique depuis son plus jeune âge, ou presque. Une parfaite petite prostituée qui sait se mettre en avant pour récupérer les clients. Car si elle sait se montrer douce (avec difficulté toutefois, cette caractéristique n'entrant pas réellement dans son caractère), elle sait également être exubérante, et aime à organiser des spectacles improvisés sur le bar du cabaret pour le plaisir des messieurs, ou à monter des ventes aux enchères pour une aimable danseuse lorsque deux hommes se la disputent, prenant alors des allures de joyeuse commentatrice en criant et gesticulant, encourageant les deux enchérisseurs à faire monter les prix... Ou d'autres à venir les rejoindre pour davantage de combat.
    Elle se plait à donne indications, informations et directives aux jeunes recrues encore un peu dépaysées dans ce nouvel environnement, utilisant pour cela des explications imagées, ou demandant à son public de participer. Rodée aux techniques de séduction, elle peut enfiler plusieurs visages, de la jeune fille prude à la dominatrice expérimentée, en passant par le statut de consommatrice (faire boire les clients pour qu'ils payent davantage) ou celui de dame de conversation (certains hommes venant juste au cabaret à cause de leur solitude spirituelle et non sexuelle, étant sûrs de trouver là quelqu'un pour les écouter attentivement et les satisfaire). Autant d'aspects du métier, aussi bien physique qu'intellectuel, à inculquer aux femmes qui, par goût ou par nécessité, souhaitent l'exercer. Elle fait également partie du cercle des anciennes qui apprennent aux jeunes comment danser, leur faisant monter de petites chorégraphies entre elles avant de les intégrer à la troupe (car malgré ce que l'on pourrait penser, il est hors de question de jeter des danseuses inexpérimentées dans la fosse aux lions. Les petites sont avant tout formées, et s'il existe des rivalités entre elles, les filles du cabaret sont avant tout loyales les unes envers les autres en cas de problème.)

    Elle apparaît bien différente lorsque l'argent ou le devenir du cabaret n'entre pas (ou plus) dans le calcul. Car Scarlett, lorsqu'elle est livrée à elle-même, est impulsive, colérique, susceptible, parfois violente lorsqu'on la pousse dans ses retranchements -ou même lorsqu'on ne le fait pas, d'ailleurs. Elle a l'insulte facile, se met souvent en rogne et a toujours un juron pendu aux lèvres -les couloirs du cabaret, en-dehors des heures d'ouverture, résonnent autant de ses pas que de ces chapelets d'expressions fleuries qu'elle se plait à égrainer à tout bout de champ. Son langage vulgaire provoque ainsi des réactions outrées dans la masse des vieilles pies bien pensantes (comme la jeune femme les désigne elle-même), car elle n'hésite pas à mêler le Seigneur et tous les saints à ses récriminations.
    De même, elle a une tendance à dramatiser chaque événement de sa vie qui ne se déroule pas comme elle le désirerait (Chez elle, une ampoule au pied à cause de nouvelles chaussures n'est pas à l'abri de provoquer sa déchéance de danseuse. Si ces affirmations provoquent l'étonnement, voire l'effroi, des jeunes, ceux qui connaissent bien Scarlett ne s'en formalisent plus et la laissent s'épuiser sans faire de commentaires jusqu'à ce qu'elle se calme toute seule, ce qui finit toujours pas arriver quand elle a fini d'envisager toutes les conséquences les plus farfelues). Légèrement superstitieuse, elle a tendance à vouloir que les traditions soient respectées (On ne met pas le pain à l'envers sur la table, malotru!)
    Se révélant bruyante, ou même sans-gêne, elle se fait souvent remarquer (rarement pour de bonnes raisons), et peut se montrer agressive lorsqu'elle se sent critiquée (en général, toujours par les mêmes vieilles pies qu'elle se dépêche de remettre à leur place par un commentaire bien senti sur leur vie sexuelle, avant de s'enfuir sous les menaces des maris insultés qui n'hésiteraient pas à la passer à tabac). Elle a également pris l'habitude de donner des surnoms affectifs à chaque personne qu'elle croise, et ce, même lorsqu'elle est exaspérée. Et si les « bon dieu d'abruti » fleurissent dans ses phrases, les « chéri » ou « mon chou » ne sont pas en reste. Le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne passe pas inaperçue.

    Cependant, entière dans la colère ou l'exhibition, elle l'est aussi dans des sentiments plus positifs. Elle se montre chaleureuse, fidèle envers ses amis, et même pleine de bonne volonté lorsque cela la prend, en offrant son aide à ceux qu'elle apprécie (ceux qu'elle n'aime pas peuvent toujours courir, elle aurait trop de plaisir à les voir s'embourber). Elle peut s'enflammer pour peu de choses, devenant alors telle une enfant découvrant un cadeau au pied du sapin le soir de Noël, et adoptant une attitude enfantine en s'émerveillant ou en boudant, râlant comme une petite fille frustrée. Têtue, impatiente, parfois capricieuse, elle a tendance à camper sur ses positions et ne réfléchit pas longuement avant d'agir (voire pas du tout), préférant se tromper rapidement qu'hésiter éternellement.

    Femme emportée, mauvaise tête devant l'éternel et au grand dam de tous, elle est, pour certains, la fille vulgaire du cabaret, pour d'autres, une solide compagne.


Dernière édition par Scarlett le Jeu 2 Aoû - 14:19, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Scarlett - Rouge fille de joie   Scarlett - Rouge fille de joie EmptyJeu 2 Aoû - 13:44

Scarlett - Rouge fille de joie Scarle17 Scarlett - Rouge fille de joie Scarle18 Scarlett - Rouge fille de joie Scarle19

    « Souvent je pense à vous Madame,
    Souvent je vous revois Madame. »

    Madame, Barzotti

    III – Chronique sordide

    Acte premier) Les personnages

    Le père_ Adorjan Miska Horvath
    Né dans une famille noble, comme sa compagne, il a grandi en ayant toujours obtenu ce qu'il désirait sans aucun problème et a donc du mal à accepter qu'on lui refuse quelque chose, bien qu'il fasse tout pour que l'on ne se rende pas compte de son irritation. Paraissant calme et maitrisé, il est en réalité homme de pulsion et a bien souvent des crises de violence qu'il essaie de réfréner autant qu'il le peut. Avec l'âge, il y parvient de mieux en mieux, et les crises s'espacent pour ne plus laisser place qu'à des colères passagères de temps à autre. Cependant, il lui arrive bien souvent de bouillonner intérieurement, mauvais signe pour ses interlocuteurs...
    A vingt ans, il part faire ses études à l'étranger, passant en Italie, en France et en Allemagne avant de se fixer en Angleterre, pays qu'il apprécie grandement. C'est là qu'il rencontre pour la première fois Scarlett, danseuse et fille de joie, avec laquelle il passe une nuit agréable sans pour autant l'apprécier particulièrement. Par la suite, il revient plusieurs fois la voir et, alors qu'il commence à s'interroger sur les véritables sentiments qu'il voue à la jeune femme, il est rappelé au pays pour prendre femme, laquelle, bien que jolie, ne suscite que son indifférence. Arrive le mariage, les nuits successives passées ensemble et enfin, la grossesse tant attendue. Mais Scarlett manque à Adorjan, qui, sous le couvert d'un voyage d'affaires, court jusqu'en Angleterre pour la voir et reste plusieurs semaines avec elle, la couvrant de cadeaux et d'attentions tandis qu'elle se laisse faire, surprise mais charmée. Cependant, les lettres familiales se succèdent, de plus en plus insistantes, et finalement, il est obligé de céder et fait ses valises pour repartir chez lui, laissant sa bien-aimée à l'arrière. C'est à cette occasion qu'elle lui révèle son vrai prénom, comme un talisman à rapporter chez lui, ou une preuve de son amour naissant pour l'homme qui la pourchasse : Swanilda. C'est au tour de celle-ci de connaître les tourments de la passion et l'attente, infinie, qui s'étend devant elle, sans savoir quand elle reverra son amant. Après plusieurs semaines passés dans l'espoir de son retour, elle décide de s'en aller du cabaret où elle travaille pour s'exiler à l'ouest de la ville, qui lui rappelle moins les moments heureux passés ensemble. Elle s'enterre dans l'anonymat et réussit à trouver un emploi comme serveuse dans un petit restaurant, qui fait vite faillite. Elle quitte alors l'établissement, et disparaît dans la nature, vivant de petits boulots au jour le jour, s'habillant de guenilles et se contentant de quignons de pains pour survivre.
    Adorjan, après avoir été retenu quelques temps en Hongrie, constate avec angoisse sa disparition et lance sur ses traces un détective véreux, qui retarde le plus possible la découverte de la jeune femme, espérant être payé plus grassement. Le noble fait de fréquents voyages en Angleterre en espérant la retrouver, sans succès. Ses seuls moments de répit, il les passe avec sa fille qui, bien que ressemblant énormément à sa mère, lui rappelle sans cesse la danseuse qu'il a perdu. Désespéré, il essaie de retrouver en sa fille la Swanilda qu'il craint de ne jamais revoir, lui donnant son nom de scène en guise de prénom et l'accoutrant dans des costumes qui ressemblent étrangement à ceux que portaient son amie.
    C'est seulement plusieurs années après que les retrouvailles ont lieu, à la grande joie des deux amants qui n'ont jamais pensé de rester fidèles l'un à l'autre (Adorjan ne touchera plus sa femme après la naissance de son enfant, estimant avoir rempli son devoir auprès d'elle). Il l'engage pour donner des leçons de danse à sa fille (danse de cabaret ou de salons, celles-ci étant les seules que Swanilda maitrise) et la loge sous son toit où ils peuvent se retrouver la nuit tombée. Seulement, Swanilda est malade, très malade, et finit par s'éteindre cinq ans après, sans cesse affaiblie par les fièvres répétées. Elle est aussi bien pleurée par son amant que par Scarlett, qui s'était beaucoup attachée à la vieille danseuse et aura du mal à se remettre de sa disparition, appréciant son enseignement, son élégance et l'affection qu'elle lui témoignait. Adorjan, dans une tentative angoissée de pallier à cette disparition, confond alors totalement Swanilda avec sa fille, et, dans son esprit, les deux ne font plus qu'un. Il perd la raison quand il aperçoit cette dernière avec un garçon alors qu'il vient tout juste de rentrer de voyage et, dans un de ces accès de colère dont il pensait s'être guéri depuis des années, il tente d'abuser d'elle au grand effroi de sa fille qui ne comprend pas ce qui lui arrive et s'enfuit peu après. Depuis son départ, il est tombé dans un mutisme presque complet, restant toujours chez lui, son seul plaisir étant de relire les lettres remplies d'amour que Scarlett lui envoyait quand elle était petite fille.

    La mère_ Etelka Renata Horvath, née Nemeth
    A seize ans, Etelka est comme toutes les adolescentes : à la recherche du grand amour, du prince charmant, ou quel que soit le nom qu'on lui donne. Alors, quand on lui propose en mariage un homme de quelques années son ainé, originaire d'une grande famille comme la sienne et au portrait plutôt engageant, elle saute sur l'occasion en fantasmant déjà sa vie de femme âgée aux côtés d'un homme toujours amoureux d'elle. Cependant, elle doit vite déchanter. Son futur époux ne se donne pas la peine de venir la voir et s'empresse de la quitter sitôt le mariage prononcé et un bébé en bonne voie. Dans la grande demeure dans laquelle elle est installée, elle se sent seule et délaissée, n'ayant d'autres activités que d'écrire à un mari qui, d'Angleterre, ne lui répond pas, ou parler à ses beaux-parents, déjà âgés, dont elle ne partage pas les centres d'intérêt. Elle devient de plus en plus malheureuse, sa grossesse accentuant ses idées noires, jusqu'à ce que sa fille vienne au monde.
    Elle constate avec plaisir que celle-ci lui ressemble comme deux gouttes d'eau, avec ses cheveux auburn collés au sommet de son crâne et ses yeux bleus fonçant déjà, annonçant la couleur brune qu'ils allaient prendre au bout de quelques jours. Elle projette de lui trouver un beau prénom hongrois quand son mari débarque et décide, arbitrairement, de l'affubler d'un de ces noms anglais qu'elle ne comprend pas et qu'elle ne considère pas comme respectables. Elle s'incline cependant devant sa volonté et se résout à ne donner à son enfant que son troisième prénom, en souvenir de sa grand-mère qui avait toujours un gâteau ou quelques sous pour elle quand elle était petite.
    Les années défilent, se ressemblant toutes, elle à la maison, son mari souvent absent, Scarlett qui grandit. En lisant en secret les lettres que son mari reçoit d'un détective d'Angleterre, elle apprend l'existence de Swanilda et la relation qu'elle a avec son mari. Une désillusion de plus s'ajoute à son mariage raté et à sa fille qu'on lui enlève. Son mari pris par une autre femme, elle n'obtiendra jamais l'amour qu'elle espère de lui. Elle observe alors avec horreur Adorjan tenter de transformer Scarlett en Swanilda, se rapprochant toujours plus du portrait de cette femme habillée de rouge qu'elle a trouvé dans le secrétaire de son époux. Elle se tait, espérant un arrangement. Mais il semblerait qu'elle n'ait pas encore tout supporté : elle reconnaît en la professeur de danse dont son mari veut affubler Scarlett la femme d'Angleterre. Elle les entend se glisser dans la chambre l'un de l'autre la nuit. Elle surprend leurs regards complices, leurs sourires heureux et insouciants. Une nuit, alors que son mari s'apprête à rejoindre son amante, elle l'intercepte dans le couloir et lui fait sa première scène, en chuchotant pour ne pas réveiller la maison, cherchant dans sa mémoire les paroles les plus blessantes qu'elle puisse trouver. Il passe la nuit avec elle. Puis les suivantes avec Swanilda. Etelka comprend que tout ce qu'elle pourra dire ne servira à rien et devient de plus en plus renfermée sur elle-même, délaissant même sa fille qui, croyant l'avoir déçue, redouble d'attentions envers elle. Elle croit apercevoir la fin du calvaire avec la mort de Swanilda. Il n'en est rien. Quand on retrouve son mari mal en point dans sa chambre, elle n'a aucun doute sur la scène qui a dû se dérouler dans la pièce. Celle qui a tout subi passivement depuis le premier jour décide d'agir. Sachant que sa fille reviendra chercher ses affaires, elle laisse un petit mot et toute sa fortune à celle-ci, en espérant que, mieux qu'elle, elle saura être heureuse. Depuis qu'elle a retrouvé l'emplacement où elle avait laissé la lettre vide, elle sait que tout s'est passé comme elle l'avait prévu. Et bien que, quelque part au fond de son cœur, elle attende toujours son retour, savoir que sa fille est en vie quelque part, loin de ces lieux malsains, suffit à la faire sourire.


    Acte deuxième) L'intrigue

    La femme entraina l'homme dans sa chambre, referma la porte en riant et le projeta sur le lit d'une main câline, effleurant sa poitrine. Elle jeta ses chaussures dans un coin, releva ses jupons et s'assit à califourchon sur lui, passant ses mains parmi les mèches de cheveux qui retombaient sur son front. [/size]

    Premier tableau : Le retour au pays


    Il y avait, près d'une grande capitale de Hongrie, près d'un petit village tout ce qu'il y a de plus normal, fait de terre et de chaume, de pierres et d'hommes, un château derrière une grande forêt, que seul reliait aux autres un petit chemin boueux qui serpentait à travers les arbres, à peine assez large pour laisser passer une voiture. Les chevaux frôlaient de leur grand corps puissant les feuilles des arbres, le cocher s'écorchait les mains sur les branches basses qui pointaient à travers l'obscure épaisseur de la faune forestière, et les portes étaient criblés des fruits des bois qui tombaient sur son passage, faisant comme un bruit de balles de pistolet ricochant sur le métal des joints. Le carrosse cahotait dans les flaques formées par les pluies diluviennes qui tombaient parfois sur le pays. L'eau et la boue recouvraient progressivement les roues, donnant lieu à un bruit chuintant et continu, vite couvert par celui des sabots des chevaux, leur hennissement lorsqu'ils mettaient le pied dans un trou rempli d'eau, s'y enfonçant une seconde avant de reprendre leur course, fiers destriers au pelage bai et à l'expression sérieuse, comme les bêtes du passé sur les champs de bataille. A l'intérieur, on distinguait le général de cette armée en voiture, son ombre se découpant derrière le rideau de velours qui cachait l'intérieur du véhicule.

    Enfin, la voiture déboucha dans un espace à découvert, une grande clairière épargnée par l'ombre des arbres. Le cocher se releva, courbé en deux comme il l'était depuis qu'ils avaient commencé le trajet pour éviter de se blesser au visage, et réajusta les rênes de sa main ferme pour ralentir l'allure. Le rideau de velours s'ouvrit, laissant apparaître un visage dans la fleur de l'âge, la trentaine finissante, aux cheveux déjà clairsemés et aux sourcils épais. Le nez en bec d'aigle donnait à cette figure la fierté du rapace se préparant à fondre sur sa proie, sûr de sa victoire, tandis que ses épaules molles quoique puissantes laissaient apparaître l'attitude débonnaire d'un homme habitué à son confort et à la chaleur d'une maison. Habillé dans les tons marrons, il avait recouvert son costume de bonne qualité, d'une couleur discrète et au tissu précieux, d'un manteau sombre qui glissait de son épaule et découvrait son cou de taureau à la pomme d'Adam saillante, au-dessus de son torse serré dans une chemise de soie blanche, un jabot de dentelle froufroutant jusqu'à toucher son manteau. Une main accrochée au bord de la fenêtre, une de ces mains de guerrier primitif que l'on imagine mieux tenant un glaive qu'une coupe de champagne, l'autre se leva pour aplatir l'ornement tandis que l'homme souriait d'un air confiant en voyant apparaître dans le lointain une demeure que l'on aurait dit de marbre, brillante et séductrice, se tendant vers le froid soleil de l'hiver qui s'était levé comme pour l'accueillir chez lui. C'était un de ces châteaux qui, lorsqu'il n'avait plus servi à la défense de la famille, avaient été transformés en plaisante maison d'habitation, dédiée au luxe et à la fête. L'on apercevait encore les vestiges des douves, des murs en pierres grossières et le pont-levis, resté intact, qui permettait de passer au-dessus des fossés où un peu d'eau stagnait, rivière verte remplie d'algues et de poissons qui y survivaient comme ils pouvaient, vestiges enfouies des douves protectrices. S'il ne se levait plus, ses chaines rouillées luisant faiblement dans la lumière, il servait encore à accueillir et impressionner les visiteurs de la famille qui résidait là, descendants des fiers soldats qui défendaient leur terre l'épée à la main. La voiture passa sous l'immense porte, le bois du pont vibra sous les roues, et l'équipage déboucha au centre de la cour devant une maison qui, quoique petite, apparaissait coquette et de riche facture. Toute blanche, elle s'étendait sur trois étages, triomphantes, de grandes fenêtres dardant leur yeux béats sur le nouvel arrivant avant de le reconnaître et de l'accueillir comme un chien fidèle, ouvrant sa porte pour laisser apparaître une petite fille aux cheveux auburn, qui courut vers lui tandis que sa robe bleue tournoyait derrière elle et que les dentelles de ses jupons formaient une corolle dans son sillage. Sa chevelure, qui lui descendait jusqu'à la taille, flottait au rythme de ses pas, dévoilant des souliers minuscules à petits talons qui claquaient contre le sol. Elle étira ses lèvres en un sourire joyeux, sauta sur le marchepied du carrosse et s'agrippa à son père dans un petit cri qui disait à la fois le plaisir de le revoir et le reproche d'être parti si longtemps.

    En riant, le père descendit et commença à marcher vers le perron, sa fille toujours accrochée à lui comme un koala, ses bras autour de son cou et sa tête contre son torse tandis qu'elle se laissait porter, souveraine et bienheureuse. Arrivé à l'intérieur, son père la déposa pour embrasser du bout des lèvres sa femme, qui l'attendait avec une expression crispée, avant de donner l'ordre de décharger ses bagages. La famille passa dans le salon pour laisser tout à loisir le voyageur raconter ses exploits, ce qu'il avait vu, entendu, et surtout (c'était là le principal intérêt pour la petite fille) donner à chacun les cadeaux prévus pour lui. Tandis qu'il détaillait ses aventures financières, son épouse le regardait en touillant une tasse de thé qu'elle prenait avant son arrivée, maintenant froide. Grande, mince, chevaline, elle hochait la tête de temps en temps aux dires de son mari, ne l'écoutant que d'une oreille en pensant à d'autres choses qui l'intéressaient bien plus que ce sujet, comme de savoir avec combien de femmes il l'avait trompée durant ces deux dernières semaines, ou si son cadeau serait aussi déplacé que les autres fois. Il connaissait si mal sa femme. Il avait tellement peu envie de s'intéresser à elle que, ne se rendant pas compte qu'elle avait des goûts très simples, il lui rapportait de chacun de ses voyages des joyaux, des fourrures, des robes brodées sur lesquels elle s'extasiait tout le jour, pour ne jamais les porter. Elle l'aurait fait si cela avait eu de l'importance pour lui. Mais il se préoccupait bien davantage de ses maitresses de pauvre exaction, rencontrées au détour d'un chemin, ou de sa fille qu'il adorait littéralement, que d'elle, pauvre femme allant sur ses vingt-cinq ans mais qui semblait tellement plus vieille, aux cheveux roux ternis et aux yeux délavés. Elle avait été belle, quand elle était plus jeune, idéaliste, quand elle croyait que ce mariage serait l'accomplissement du bonheur le plus parfait. Elle s'était trompée, et les années l'avaient progressivement aigrie, jusqu'à ce que la déception se grave sur son visage en autant de rides et de tâches qu'elle avait eu de chagrins.

    Elle fut réveillée de son attention factice par le cri d'impatience de sa fille qui approchait de ses huit ans à grands pas et venait d'aviser les paquets qui entraient dans la salle, portés par des serviteurs qui s'empressaient, une fois leur mission accomplie, de sortir de la pièce. Le père rit, et délimita en deux tas égaux les cadeaux de chacune avant de donner le signal du départ. Il faisait attention, à chaque fois, de ramener le nombre exact de présent à l'une comme à l'autre. Il pensait ainsi rattraper les griefs qu'avaient sa femme envers lui et combler l'amour qu'il n'était pas parvenu à donner, d'abord à la jeune fille vierge, puis à la femme sèche qu'elle était devenue. Il les regarda déballer, son épouse avec un sourire figé, la petite fille avec des cris de joie. Celle-ci sortit de sa boite une robe rouge qu'elle s'empressa de presser contre elle. Puis une deuxième. Une troisième. Il y en eut cinq de la même couleur, toutes parées des accessoires les plus luxueux. Les derniers paquets contenaient des jupons, en tulle, en dentelle, en coton, et des chaussures assorties aux tenues. La petite ne se formalisa pas de l'unicité des tons, se contentant de remercier chaleureusement son père en montant sur ses genoux et en lui chuchotant des mots d'amour à l'oreille. Seule, la femme s'était un instant arrêtée de déballer les présents pour observer, avec un air horrifié, les tenues flamboyantes que son mari avait offert à leur fille. Elle reprit son activité quand l'homme fourra dans les mains de la petite une de ses robes, un jupon de tulle et des chaussures à talon en lui disant d'aller faire ses essayages à côté, et de revenir ensuite pour qu'il puisse l'admirer. La femme serra les lèvres. Il n'avait donc pas suffi qu'il donne à la petite le nom de sa prostituée. Il fallait donc qu'en plus il la transforme en cette créature. Du coin de l'œil, elle voyait tous les costumes et tous, sans exception, étaient des copies conformes de celles qu'elle imaginait porter cette fille de joie que son mari n'avait jamais cessé d'aimer. Elle eut envie de pleurer quand sa fille revint dans la pièce et commença à parader, malhabile sur ses talons hauts, vertigineux pour une fillette de cet âge. La soie bruissait autour d'elle, les manches tombaient sur ses épaules, sa taille serrée dans un corset. Elle avait envie de griffer le visage de son mari, qui prétendait faire revivre chez son enfant la femme qu'il avait aimée. Elle n'en fit rien, et se contenta de broyer entre ses doigts un petit collier d'or qu'elle venait de sortir de son sachet tandis que l'homme félicitait la petite pour son maintien et son élégance, lui disant qu'il lui en rapporterait d'autres, qu'elle apprendrait à marcher sur ses talons, qu'il lui en ferait de plus hauts quand elle serait habituée.

    Le père_ Le rouge te va si bien ma chérie, je ne te ferais plus que des robes de cette couleur, à présent. 
    La fillette, rit, se tourne vers sa mère, ses mains tendent sa robe sur les côtés pour qu'elle puisse l'admirer et elle cherche son approbation du regard. La mère l'attire contre elle, caresse un instant sa taille, ses cheveux, déglutit.

    Elle prit sur elle pour sourire d'un air enchanté, pour la complimenter comme elle l'attendait.

    La mère_ Tu es magnifique, Scarlett. 

    Elle retint ses larmes devant l'air réjoui de sa fille, qui, déjà, s'emparait d'une autre robe, d'un deuxième jupon, d'une deuxième paire de chaussures, et repartait joyeusement vers ses essayages pour le grand plaisir de son père.

    * * *

    Les mains s'aventuraient sur les cuisses de la fille qu'il avait payée un peu avant de monter l'escalier. Ses mains étaient calleuses, rêches, comme celles d'un ouvrier, contrastant avec les beaux habits neufs qu'il avait revêtu pour sortir. Il essaya de détacher une jarretelle sans y parvenir. Comprenant son désarroi, sa compagne rit doucement en rejetant sa chevelure auburn en arrière, et résolut son calvaire en faisant lentement glisser ses bas contre ses jambes avant de les abandonner dans un coin.


    * * *

    Deuxième tableau : La leçon de danse


    L'enfant aux cheveux auburn lit, enfoncée dans un canapé. Son père entre en tirant une femme à sa suite.
    Elle releva aussitôt les yeux pour détailler de son regard perçant la visiteuse qui, à sa grande surprise, lui rendit son regard hostile devant lequel, d'habitude, les gens baissaient le regard. Scarlett décida que la femme était digne d'intérêt, sourit, et replongea dans son livre sans prêter attention à son père qui la regardait en souriant, attentif à sa réaction. Voyant qu'elle ne prenait pas la parole, il s'assit à côté d'elle, lui referma son livre entre les mains, ignorant les doigts qui cherchaient à retenir la page, le jeta maladroitement sur un accoudoir d'où il termina son aventure par terre, et passa un bras autour des épaules de sa fille.

    Le père, se penchant vers elle d'un air de conspirateur_ Ma petite Scarlett, tu aimes chanter, n'est-ce pas? 
    La fille hoche la tête d'un air suspicieux et fronce les sourcils.

    Oui, elle aimait chanter, comme elle le faisait à la chorale de l'office religieux toutes les semaines. A force de répétitions acharnées -il fallait que les chants soient dignes du Seigneur, elle avait réussi à acquérir une assez jolie voix, une justesse de ton et des bases en solfèges, qui lui servaient pour lire ses partitions et répéter les chants à la maison. Le père sourit d'un air satisfait, et tourna sa fille vers la femme qui attendait toujours près de la porte, un air calme sur le visage. Elle était encore jeune, malgré les quelques rides qui commençaient à se dessiner aux coins de ses yeux et de sa bouche. Sa chevelure bouclée, teinte en roux (du roux qu'affectionnaient les prostituées de la capitale, mais cela, Scarlett ne le savait pas) tombait en vagues affaiblies sur ses épaules, ayant trop connues le fer dans sa jeunesse, où il lui semblait si important de sculpter ses cheveux pendant des heures. Ses yeux, verts et froids, semblaient davantage fatigués que mesquins ou méchants, à l'image de son corps dévoré par la maladie et qu'elle savait perdu d'avance. Au geste de l'homme, elle s'avança vers la fillette et s'assit à ses côtés sur le canapé, assez près pour une proximité, assez loin pour ne pas l'effaroucher, sauvage comme elle l'était à la pensée qu'une autre pénétrait sur son territoire, dans le cocon câlin qu'elle s'était forgée au sein de la maison qu'elle avait toujours connue.

    Le père_ Voilà, je te présente une dame qui s'appelle Swanilda, et qui va t'apprendre à danser. Comme tu aimes chanter, tu aimeras danser, j'en suis sûr. Cette dame que tu vois là est une des meilleures. Elle fera de toi une danseuse parfaite.

    Au fond de ses yeux brillait une lueur que sa fille avait du mal à identifier, mais que la femme reconnut tout de suite : c'était celle de l'envie brûlante, du désir, une lueur presque sexuelle. Elle joignit ses paupières pour ne plus voir les pupilles qui l'avaient, elle, contemplé avec volupté alors qu'elle était au sommet de sa gloire. Elle, Swanilda, que dans le temps, son public et ses amants appelaient Scarlett, à cause de la chaleur de ses boucles, de celle de ses jupes, et de son sourire brûlant.

    Ayant obtenu l'aval de la petite, le père la posa entre les bras de l'ancienne danseuse, puis appela un de ses employés qui portait un carton sous le bras. Essayant de voiler le sourire enfantin qui courait sur sa figure, Scarlett en déchira le papier et sortit une tenue de danseuse flamboyante, à sa taille, un ornement fleuri pour ses cheveux, et des chaussures comprenant le plus haut talon qu'elle ait jamais vu. Swanilda se leva, prit les talons d'entre les mains de la petite, déplia sa robe, la posa contre sa poitrine, fit signe au père de sortir. Sous les yeux éberlués de l'enfant, elle la fit se changer et enfiler le costume. Alors qu'elle vacillait dans ses chaussures, elle la retint par le bras et la mena en face d'un miroir.

    La femme, d'une voix ferme_ Quand tu sauras, tu pourras danser avec ça. Comme moi, quand j'étais jeune et belle. 

    Elle avait un accent étranger qui ravit Scarlett, et la convainquit d'écouter son nouveau professeur. Jusqu'à la mort de celle-ci, cinq ans plus tard, elle plia tous les jours son corps aux exercices qu'elle lui infligeait et acquit la souplesse nécessaire. Les talons s'usèrent, devinrent trop petits. On lui en acheta d'autres. Elle ne vacillait plus.

    * * *

    Dans un froissement, son client dégrafa la robe écarlate et la passa par-dessus la tête de la femme, ses cheveux devenus électriques s'accrochant au tissu avec un crépitement joyeux. Le vêtement s'affaissa sur le sol avec un bruit mat que n'entendirent pas les deux amants. Ils tentèrent de s'embrasser, mais cela ne leur convint pas. Ils basculèrent sur le lit.

    * * *


    Troisième tableau : L'amoureux


    Scarlett était couchée dans l'herbe, vêtue de la robe rouge à manches longues qu'elle gardait les jours où elle sortait. Malgré le soleil qui commençait à revenir, il faisait toujours froid et elle ne serait pas risquée à sortir avec les épaules dénudées. En revanche, elle avait enlevé ses chaussures, qui s'étaient enfoncés dans une flaque d'eau et étaient à présent trempés. Elle rentrerait pieds nus chez elle, mais elle n'y accordait pas beaucoup d'importance. La maison n'était pas loin.

    Elle ferma les yeux paresseusement et chercha avec ses doigts la main qui devait se trouver à côté d'elle. Elle ne rencontra que l'herbe fine, et renonça. Du haut de ses quinze ans, Scarlett contemplait le monde d'un air à la fois sceptique et émerveillé, comme elle avait contemplé Swanilda cinq ans plus tôt quand celle-ci était venue pour la première fois dans la pièce où elle lisait un livre qui la passionnait à l'époque mais dont elle avait depuis oublié le titre. Un peu rebelle sans être méchante, elle aimait faire ce qu'elle voulait sans contraintes, et passait son temps entre les cours de danse, le chant à l'église et les garçons, au grand dam de sa mère pour qui le mariage était une étape nécessaire avant l'amour, et pour qui la séduction n'avait pas lieu d'être chez les jeunes filles de bonne famille. Quant à son père, il gardait le silence sur ses incartades amoureuses, sans que la jeune fille sache ce qu'il en pensait réellement. Il avait seulement écarquillé les yeux lorsqu'il était rentré d'un de ses nombreux voyages pour découvrir sa fille avec les cheveux coupés au-dessus des épaules, comme les paysannes qu'il apercevait parfois sans leur bonnet. La jeune fille, quant à elle, était très contente de sa nouvelle coupe, et ne cessait de se regarder dans le miroir en touchant les pointes d'un air absolument ravi. Les garçons du nouveau village l'avaient complimentée, aussi.

    En effet, aux abords du château où elle vivait depuis sa naissance, on avait déboisé un large arc de cercle pour y installer un nouveau village, rapport à l'agriculture qui se développait au nord du domaine. Ses parents voyaient d'un mauvais œil ces nouveaux venus s'installer à proximité de leurs terres. Scarlett, elle, avait été d'abord curieuse, puis enchantée quand elle s'était liée d'amitié avec des enfants du village qui, lorsqu'ils ne travaillaient pas au champ avec leurs parents, la retrouvaient pour parler et jouer. Puis le village s'était agrandi et avait accueilli quelques familles de bourgeois qui s'enrichissaient en faisant le commerce des produits des champs. Scarlett s'était vite intéressée aux jeunes qui accompagnaient ces arrivages, la plupart venant de villes plus grandes et donc habitués à un autre mode de vie, fait de paresse et d'amusements bien différents de ceux qu'elle connaissait. Elle s'était mise, poussée par les autres jeunes filles, à jouer le jeu de la séduction, sans jamais en demander davantage. Et c'est ce qu'elle faisait en ce bel après-midi, allongée aux côtés d'un garçon qu'elle fréquentait depuis quelques temps et qui portait le nom d'Emelie. Au moment où elle allait s'assoupir, bercée par le son du vent qui passait dans les arbres, il se pencha vers elle et s'allongea sur son ventre, la faisant sursauter.

    Le garçon, taquin_ Dans les bois? 

    Elle sourit et lui pinça le nez, pendant qu'il grimaçait joyeusement.

    « Pas avant le mariage, cher monsieur, c'est inconvenant. »

    Il rit, se relève, lui tend la main pour qu'elle fasse de même. Ils courent au faubourg où les attendent la horde de leurs amis qui sortent de leurs cours particuliers qu'eux-mêmes, pour profiter de leur après-midi, ont séché copieusement.

    En s'échappant ainsi, ils ne virent pas l'ombre du père de Scarlett qui les observait jalousement par une des fenêtres de la maison.

    * * *

    Elle avait un corset sombre, aux entrelacs compliqués, aux dentelles qui se faisaient tendres contre la peau. Ses dessous la cachaient, pour une poignée de secondes, encore. Quand l'homme entreprit de lui enlever sa protection, elle souffla la bougie allumée qui trônait encore sur la table de chevet.

    * * *


    Quatrième tableau : Le père et la fille


    Quand Scarlett rentra chez elle ce soir-là, bien après l'heure du diner, elle fut étonnée de trouver la maison si silencieuse, et surtout si déserte. Elle entendait au loin les cliquetis des couverts que leur vieille cuisinière était en train de laver, mais hormis ce bruit si ténu et, au final, si peu rassurant dans l'immensité du grand hall, rien n'était perceptible. Scarlett pensa qu'il aurait dû y avoir une foule de domestiques en train de s'acharner à allumer les bougies pour la nuit, puis à les éteindre à l'heure du coucher. Mais il n'y avait rien, et seules les vieilles pierres de la cheminée frappée des armoiries de la famille racontait ses souvenirs dans un chuintement léger. Intriguée sans être pour autant inquiète (il devait y avoir une explication rationnelle, et demain tout serait revenu à la normale), elle monta dans sa chambre et referma la grande porte à clef derrière elle, afin de ne pas être dérangée. Dans le noir, elle commença à se déshabiller, enlevant sa robe pour se retrouver en jupon et corsage, jetant la première couche de vêtements sur la masse de couvertures qui émergeaient de son lit.

    Elle sursauta quand un grincement retentit dans le calme ambiant, puis se rassura. C'était encore la maison qui racontait son histoire. Elle était comme vivante et, la nuit, revivait les événements épiques qu'elle avait vécu, et dont elle seule se souvenait. Un jour, elle raconterait celle de Scarlett, de son père et de sa mère, comme elle racontait celle de tant de familles disparues avant même que la leur soit à l'aube d'être conçue. Un deuxième craquement retentit, et une silhouette sortit de l'ombre. Scarlett fronça les sourcils, effrayée. Il n'y avait jamais eu de fantômes ici. Elle afficha un air soulagé en voyant son père émerger de l'alcôve où elle avait placé sa coiffeuse dissimulée par une large tenture rouge, comme l'étaient la plupart des tissus présents dans la pièce. Elle accueillit le nouvel arrivant sans se poser de questions, lui sautant au cou comme elle avait l'habitude de le faire étant enfant, et comme elle ne le faisait plus depuis de nombreuses années déjà. Mais il faisait nuit, et, la nuit, on avait le droit à quelques petits écarts de conduite. Si elle se serait trouvée ridicule d'agir ainsi en plein jour, sous la protection de l'obscurité elle n'avait pas peur. Elle ne vit pas l'expression carnassière qui s'était affichée sur la figure d'oiseau de proie de son père tandis qu'elle le câlinait, lui demanda avec bonne foi quand il avait bien pu arriver pour qu'elle ne le voit que maintenant. Pour elle, il était logique que son père ait voulu lui faire une surprise après être parti pendant plusieurs mois dans un pays inconnu, et très lointain, l'Angleterre, dont elle avait toujours entendu parler sans savoir à quoi s'attendre. Elle l'imaginait grand, très grand, plein de montagnes et de dragons, mais elle savait que ce n'était pas le cas. Mais il était loin, ce pays, trop loin pour qu'elle puisse le visualiser. Elle prit la résolution d'interroger copieusement son père sur ce royaume dont il revenait si tard.

    Le dragon_ Je t'ai vue avec ce garçon. 
    La voix est rauque, presque inhumaine.

    La jeune fille mit un moment à se rendre compte qu'elle émanait de la bouche de son père, si différente de la voix grave et rieuse dont il était pourvu d'habitude. Elle chercha à se détacher de lui, mais les grosses mains de l'homme se resserrèrent autour de ses bras, l'empêchant de reculer. Trop surprise pour réagir violemment, elle se contenta de tirer quelques secondes sur ses coudes endolories pour tenter de les dégager sans y parvenir.

    Le dragon_ Vous étiez tous les deux. 
    - C'est un garçon du village. On s'entend bien.
    Le dragon_ Il t'a touchée? »

    Scarlett écarquille les yeux, puis se renfrogne devant cette question qui touche directement à son intimité, intimité dont elle n'a envie de faire part à personne, et surtout pas à son père. Elle hausse les épaules.

    « On s'est juste embrassés. »

    Le père la relâcha et Scarlett, profitant de sa liberté retrouvée, se dirigea vers son lit où elle continua à se déshabiller, espérant par-là faire comprendre à son père qu'il était temps de prendre congé. Elle enleva son jupon, défit ses jarretières, commença à délacer son corset sans obtenir de réaction. Elle allait se retourner pour lui crier de s'en aller, profondément agacée, à présent, par cette intrusion fortuite, quand elle sentit une haleine chaude contre sa nuque, et se sentit basculer en arrière contre le matelas. Son hurlement resta coincé au fond de sa gorge quand elle rencontra les yeux de son père, animé d'une fureur animale, la chemise entrouverte sur son torse, qui commençait à monter sur elle en l'emprisonnant.

    Le dragon_ Tu ne partiras plus, Swanilda. 
    Il parait un instant interloqué par ses paroles, puis grogne en rectifiant sa phrase.

    Le dragon_ Scarlett. 

    Comprenant à grand-peine ce qui lui arrivait, la jeune fille eut un bienheureux réflexe de survie. De sa main valide, elle planta deux doigts dans les yeux de son père qui commençait à dénuder ses épaules, se dandina pour échapper à son emprise pendant qu'il gémissait de douleur (d'un gémissement guttural, comme celui d'une bête acculée), bondit au pied du lit et tenta d'ouvrir la porte. Elle était fermée. Elle lança le plus grand chapelet de jurons qu'elle ait jamais entendu, de ceux que prononçait le forgeron du village quand son cheval refusait d'avancer, de ceux qu'elle n'aurait jamais osé dire devant sa mère, ou devant le prêtre, qui aurait dit que ses paroles la mènerait tout droit en enfer. Seulement, pour l'instant, Scarlett se fichait éperdument de l'enfer, de sa mère et du forgeron du village, au profit d'une petite clef qu'elle avait posé quelque part, quelque part dont, dans la panique, elle ne se souvenait plus. Elle se retourna. Les yeux larmoyants, son père s'apprêtait à fondre sur elle, bien décidé à mener ses sombres desseins à bien maintenant qu'il était dans une fureur noire.

    Au bord des larmes, elle frappe la porte de toutes ses forces.

    Et dans l'action, elle se rappela. Dans le corsage.

    Elle fourre une main tremblante entre ses seins qui commencent à atteindre une taille respectable pour son âge, saisit l'objet de son salut, la fourre dans la serrure tandis que son père enserre sa taille par l'arrière. Elle implore tous les saints à haute d'une voix transformée par l'irritation, et donne un coup de pied, le plus fort qu'elle peut, dans les endroits sensibles.

    Elle remercia les gamins du village de lui avoir donné cette astuce une fois qu'ils lui racontaient la dérouillée qu'ils avaient mise à un clan du village voisin. Le père s'écroula avec un sifflement de douleur. Elle tourna la clef, se rua à l'extérieur, courut jusqu'à la porte d'entrée et s'enfonça dans la nuit, tandis que son père poussait, derrière elle, un gémissement de bête blessée que l'on abandonne à son sort.

    Une fois à l'extérieur, elle se rendit compte qu'elle était en sous-vêtements et frissonna. Il allait d'abord falloir qu'elle se trouve des vêtements pour survivre à cette nuit. Car il était hors de question de retourner sur ses pas, où le dragon l'attendait, le dragon que son père avait ramené d'Angleterre et qui avait surgi cette nuit-là.

    Derrière elle, les lumières de la demeure s'allumaient une à une.

    * * *

    Les bruits de la nuit remplissaient la chambre. Une lueur passa sous la porte et s'éloigna. Dans le couloir, on entendait le rire des passants qui se rendaient vers l'endroit accueillant qu'ils étaient venus chercher.

    * * *



Dernière édition par Scarlett le Jeu 2 Aoû - 14:18, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Scarlett - Rouge fille de joie   Scarlett - Rouge fille de joie EmptyJeu 2 Aoû - 13:46

    Cinquième tableau : La fuite


    Elle avait réussi à emprunter des vêtements à une de ses amies, la réveillant en lançant des cailloux à sa fenêtre et prétextant qu'après avoir passé la nuit avec Emelie, celui-ci s'était enfui avec ses habits pour lui faire une blague. Elle parlait avec une telle franchise, un tel rire dans la voix que la fille la crut, lui prêta des habits et lui demanda de tout lui raconter. Scarlett prétexta avec un clin d'œil qu'elle n'en avait pas le temps pour l'instant, mais qu'elle lui promettait de tout lui dire le lendemain. Elle lui donna un rendez-vous auquel elle ne viendrait pas, embrassa son amie sur la joue et ressortit par la fenêtre en s'accrochant au lierre, s'écorchant les mains et atterrissant comme un sac sur le sol. Elle vit son amie, à la fenêtre, retenir un rire en plaquant une main devant sa bouche. Elle eut envie de l'insulter, mais, eu lieu de cela, elle lui fit un signe de la main avant de s'enfoncer dans la nuit.

    Elle avait attendu le jour dans une grange, grelottant dans le froid. Quand il était venu, elle avait changé de cachette, se déplaçant dans l'aube pour ne pas être repérée jusqu'à un pont où elle avait recommencé à attendre. Le soir venu, lorsque même les bars les plus tolérants avaient fermé leurs portes, jetant au-dehors les poivrots qui ne savaient même plus comment rentrer chez eux, elle était ressortie pour marcher d'un pas décidé vers ce qui avait été chez elle et qu'elle était bien décidée à quitter. Scarlett avait toujours été avide de nouvelles contrées. Les événements de la nuit précédente ne l'avaient que davantage décidée à mettre la clef sous la porte pour découvrir de nouveaux horizons, loin de ce père qu'elle aimait encore mais qui l'effrayait au plus haut point. Elle fit le tour de la demeure jusqu'à la porte de derrière qui menait à un petit cellier, et qui fermait mal. Il suffisait de la pousser un peu fortement pour pouvoir entrer dans la maison -ce que les voleurs auraient rêvé de savoir, ce que Scarlett savait pour faire le mur assez régulièrement et avoir besoin d'une porte discrète pour entrer et sortir sans être dérangée.

    Comme une souris, elle se faufila à l'intérieur, vérifia que la voie était libre, grimpa l'escalier à toute vitesse, fit tomber une chaussure, la ramassa en retenant son souffle, et continua sa course jusqu'à sa chambre, dont elle entrouvrit la porte avec appréhension. Mais à l'intérieur, tout était calme et aucune ombre ne se calfeutrait dans les alcôves ou derrière les rideaux, à son grand soulagement. Elle entra, se dirigea vers l'armoire, en sortit une malle assez imposante et pria pour réussir à la porter. Elle n'en avait pas d'autre et refusait d'abandonner toutes ses affaires ici pour partir comme une pauvresse. Remontant ses manches d'un air décidé, elle commença à faire un tri pour décider quoi emmener. Elle rangea pour faire ressortir ses robes préférées, celles qui seraient pratiques, celles qu'elle pouvait laisser et celles dont elle refusait de se séparer. Elle fit pareil avec les chaussures et les accessoires, emporta tous les bijoux (elle pourrait en revendre pour avoir un peu d'argent), ne put que laisser les bibelots et les boites qui décoraient ses meubles, hésita à prendre des livres, n'en prit que quelques-uns pour passer le temps au cas où elle s'ennuierait. Elle classe, rangea, emporta pendant une heure sans s'arrêter, et quand elle eût fini, la malle était pleine et prête à être emportée. Alors qu'elle continuait à déplier des robes laissées dans le placard depuis des années car trop petites, elle sentit sous ses doigts une feuille de papier qui tomba à terre avant qu'elle n'ait pu la rattraper. Elle se baissa pour se saisir de la lettre, grosse d'un important chargement, qui venait de basculer. L'enveloppe était marquée à son nom, d'une encre fraiche qui criait qu'elle avait été écrite dans la journée. Le cœur battant, Scarlett l'ouvrit, en sortit une feuille, sentit des cliquetis métalliques sous ses doigts. Elle les passa dans ce qui était une poignée de pièces, camouflant un autre objet qu'elle s'empressa de sortir. C'était une bague frappée aux armoiries de la famille de sa mère, qui se balançait au bout d'une chaine. Elle l'avait toujours vue au cou de celle-ci, qui ne s'en séparait jamais. Le cœur battant, Scarlett ouvrit la lettre, qui n'était occupée que par quelques mots.

    La lettre_ Ma chérie, bonne chance. 

    Scarlett attacha autour de son cou la chaine et la bague laissées en témoignages par une femme qu'elle croyait connaître et qui lui semblait tellement loin, tellement froide. Elle referma la malle, la porta et la traina sur quelques mètres en espérant ne pas se faire entendre. Elle portait dans son corsage, à la place de la clef de sa chambre, les mots d'amour d'une femme qui l'avait sûrement comprise bien plus qu'elle ne l'avait cru.

    * * *

    Le jour filtrait à travers les rideaux, découpant dans la pénombre les formes imprécises des meubles et des objets. Couchée sur le dos, la femme rabattit sur elle la couverture tombée pendant la nuit. A ses côtés, l'homme dormait profondément. Elle se retourna. Il serait bientôt l'heure.

    * * *


    Sixième tableau : Prendre son envol


    Avec l'argent contenu dans la lettre (ce qui représentait sûrement toutes les économies qu'avaient pu faire sa mère pendant des années, son mari lui laissant juste assez d'argent à chacun de ses voyages pour tenir la maison convenablement, puisqu'il préférait avoir main-mise sur toute la fortune), Scarlett s'était achetée une tenue assez passe-partout pour pouvoir voyager en toute tranquillité, celle-ci étant massivement de couleur brune. Elle avait complété l'affaire en s'achetant une petite coiffe de couleur blanche qui camouflait un peu ses cheveux auburn, ceux-ci étant facilement reconnaissables tant qu'elle se trouvait à proximité de chez elle. Autour de son cou pendait la chaine et la bague, cadeaux et souvenirs de sa mère à son égard, auxquels elle avait rajouté un anneau qu'Emelie lui avait offert pour ses quinze ans, en disant, rieur, qu'il s'agissait d'un avant-goût de l'alliance de leur mariage.
    Avant de partir, elle était allée déposer devant sa porte la tenue que son amie lui avait prêtée et qu'elle tenait à lui rendre. Si elle était une fugitive, elle n'était pas une voleuse et se refusait à emporter la tenue, fut-ce pour des raisons pratiques ou sentimentales.
    Maintenant, elle se retrouvait sans le sou, répugnant à vendre d'emblée un de ses bijoux mais souhaitant plus que tout partir d'ici pour se rendre dans le pays du dragon, l'Angleterre qui la fascinait tant. Il lui fallait trouver au plus vite une solution, avant que quelqu'un ne la retrouve et ne s'empresse d'aller dire à son père la surprise qu'il avait eu de la voir en ville, près de la gare des calèches, camouflée en femme de basse extraction. Toute à ses réflexions, elle ne vit pas un homme qui la regardait depuis quelques minutes sans sourciller et qui, progressivement, se rapprochait d'elle.

    Elle sursaute quand il se met à parler tout près d'elle, et se retient de lui lancer un regard effarouché.

    Lui_ Allons ma jolie, tu voyages toute seule? 

    Elle s'enfonce dans un silence hostile. Il s'éloigne quelque peu et continue.

    Lui_ Voyons ma petite, je te veux pas de mal. C'est juste qu'il reste une place dans ma voiture, donc en te voyant, je me suis dit ''Mais la jeune demoiselle est seule, c'est dangereux de la laisser voyager sans escorte, mignonne comme elle est! Je pourrais lui proposer de venir avec moi, et comme ça elle sera en sécurité, et moi j'aurais quelqu'un à qui faire la conversation.'' 

    Et Scarlett avait eu une idée.

    « C'est payant.
    Lui_ Quoi?
    - Payez-moi le voyage et je vous ferais la conversation, comme vous le souhaitez. »

    Elle vit un mince sourire s'étirer sur les lèvres de l'individu qui, lui non plus, n'était, semble-t-il, pas à court de négociations.

    Sa main se serre sur son genou, sa langue passe furtivement sur ses lèvres, ses paupières se plissent sur des yeux verts bouleversants qu'elle ne remarque que maintenant.

    Des yeux comme on n'en voyait qu'une fois dans sa vie, et qui pouvaient obtenir beaucoup rien qu'avec leur beauté.

    Lui_ Si je dois payer, nous ne ferons pas que discuter. 

    Cependant, ce ne furent pas ces yeux qui décidèrent Scarlett à accepter. Ce fut la nécessité, l'aventure et sa nouvelle liberté, les horizons qui l'attendaient sans qu'elle ne put les rejoindre. Ce fut l'entrave qui s'était levée cette nuit-là dans la chambre, et le sentiment de ne plus avoir rien à perdre. Ce fut aussi la curiosité, et quelque part, le désir naissant, désir charnel et désir de découverte. Ce fut aussi la fierté, celle qui lui disait de ne pas se dégonfler si vite, et enfin, la joie d'avoir toute la vie devant elle. Ce furent beaucoup de sentiments mêlés qui se résumèrent dans cet accord. Et sans savoir ce qui l'attendait réellement, Scarlett se dit qu'elle avait besoin de ce financement, et qu'après tout, ce garçon n'était pas si répugnant. Elle hocha la tête pour marquer son assentiment. Alors, l'homme se pencha vers elle et étendit son bras devant lui. La jeune fille se raidit, mais il ne fit qu'attraper vigoureusement la sienne.

    Lui_ Je m'appelle Elijah. 

    Et tandis qu'elle murmurait le sien du bout des lèvres, soudainement intimidée, il lui serra brièvement la main, comme on l'aurait fait à un homme avec qui l'on vient de conclure une affaire.

    * * *

    Quand la lueur perça jusqu'au bas de la porte, elle se leva, enveloppée dans la couverture, laissant l'homme dénudé. Elle attrapa un drap qu'elle jeta sur lui. Rassemblant ses affaires, tenant le tissu contre elle, elle entreprit de s'habiller. Quand elle eût fini, elle ramassa celles de l'homme et les posa sur le lit.

    * * *


    Septième tableau : Le pays du dragon


    Scarlett contempla pendant un long moment le port d'Angleterre qui s'étalait devant elle, plein de vie, grouillant de milliers de silhouettes qui s'évitaient, se bousculaient, discutaient, marchandaient. Un joyeux et sourd brouhaha montait de la foule, semblant happé par le ciel qui se régalait de leurs existences. Elle avait envie de rire et de courir parmi ces gens, s'arrêter à tous les étalages du petit marché qui s'étendait sur un côté du port, devant des maisons noircies dont on apercevait l'intérieur coquet à travers les rideaux de velours. Un enfant sortit de l'une d'elle, pieds nus, tenant un crouton de pain à la main. Il fut vite rattrapé par sa mère qui, moitié riant moitié grognant, le tira derrière elle jusqu'à la porte de la maison, après lui avoir donné un coup sur les fesses qui avaient déclenché une expression boudeuse sur le visage du garçon, sans qu'il semble en éprouver de la douleur. De l'autre côté, des marins devant un bar appelé par un nom dont elle ne parvenait pas à saisir le sens, fumaient une pipe ou crachaient sur le sol, affichant un air calme et indifférent au boucan ambiant, jusqu'à ce que l'un des leurs vint dire quelque chose à l'oreille de celui qui semblait être leur capitaine. Aussitôt, les crachats cessèrent, les pipes furent rangées dans les poches de pantalons à la propreté douteuse, et tous rentrèrent à l'intérieur, d'où s'éleva bientôt des cris et des bruits de lutte acharnée. Plus loin, un magnifique navire de guerre attendait le départ, les voiles pour l'instant repliées, mais l'équipage s'activant sur le pont. Ses yeux brillèrent lorsqu'elle crut reconnaître des pirates en habit rouge un peu plus loin. Son esprit s'emballa et elle s'imagina se battre à leurs côtés, chevelure au vent et épée à la main, montant au mât comme un singe et se balançant dans les cordages pour tirer des coups de pistolet mortels sur leurs ennemis. Au moment où elle parvenait à se visualiser en tant que capitaine impétueux et sans pitié, une femme passa près du groupe. Des mains baladeuses la saisirent et elle entendit un rire gras émaner des poitrines fermes. Elle détacha son regard du petit groupe avec un soupir vexé, pendant que la pauvre imprudente recevait des avances impromptues. Scarlett déchanta et se dit que si elle osait approcher, elle connaitrait le même sort que la malheureuse, sans réussir à embarquer avec eux. Il lui fallait trouver une autre solution.

    S'éloignant du quai pour aller s'assoir sur le perron d'une maison qui semblait désertée, elle réfléchit à ce qu'elle savait faire, et donc aux options qui s'offraient à elle. Elijah l'avait abandonnée peu après l'arrivée, la laissant à son sort pour s'occuper de la mijaurée aux boucles brunes qu'il avait dégotée en France. Il s'était tout de même soucié de lui laisser un peu d'argent pour qu'elle puisse se débrouiller. Encore heureux, elle ne l'avait pas laissé l'utiliser pour qu'il la jette à la rue comme une malpropre. Cependant, ces ressources ne seraient pas éternelles et elle devait au plus vite trouver un travail. Elle réfléchit. Elle savait chanter et danser et... C'était tout. Elle avait quelques notions dans les langues indispensables (mais comme elle avait tendance à délaisser ses cours pour aller s'amuser, elle avait de graves lacunes), savait plus ou moins coudre (Cette activité avait tendance à l'ennuyer, et elle ne comprenait pas pourquoi elle ne parvenait pas à créer des robes merveilleuses comme les couturières, et surtout pourquoi on l'obligeait à broder des mouchoirs ou tout autre support peu passionnant alors qu'elle aurait pu apprendre plus utile), se débrouillait au piano (mais comme elle n'était pas assez patiente pour travailler sans cesse ses morceaux, elle restait assez médiocre, et préférait taper sur les touches au hasard pour faire de jolies mélodies inconnues -qui comportaient une dizaine de notes tout au plus, mais c'était un détail). On lui avait toujours refusé le plaisir d'apprendre les sciences et les mathématiques (ce qui lui aurait été utile pour se débrouiller correctement avec son argent. Cependant, on estimait que les femmes de sa famille n'avaient pas à y toucher, et, à son grand dam, ses seules connaissances en la matière se résumaient à savoir compter). Elle en conclut que les seuls éléments sur lesquels elle pouvait réellement compter étaient ses capacités en chant et en danse. Il fallait donc qu'elle cherche de ce côté. Elle se leva brusquement, faisant sursauter un adolescent qui passait juste à côté d'elle à ce moment-là, et partit d'un pas décidé vers les établissements qui, elle n'en doutait pas, la supplieraient de pouvoir l'embaucher et la paieraient une fortune.

    La vérité fut toute autre. Elle erra toute la journée, mais personne ne semblait avoir besoin de la petite danseuse aux cheveux auburn et à l'air fier qui parlait un anglais exécrable et comprenait à peine ce qu'on lui disait. A la fin de la journée, elle avait été refoulée partout, depuis les théâtres et les opéras par lesquels elle avait commencé, jusqu'aux auberges donnant des spectacles le soir. Il fallut se rendre à l'évidence : elle allait devoir s'enfoncer dans des quartiers plus tendancieux pour tenter sa chance. Elle passa la nuit dans une petite auberge crasseuse pour économiser ses maigres ressources et, au matin, s'enfonça dans le quartier des plaisirs.

    Loin de l'effrayer, l'endroit la ravit. Levée à l'aube, elle croisait les derniers fêtards qui rentraient chez eux, débraillés, les yeux vitreux, un peu (ou beaucoup) saouls et semblant marcher sans vraiment savoir où ils se rendaient, certains se tenant bras dessus-bras dessous pour éviter de s'écrouler sur le sol. Elle apercevait au sol les vestiges de lampions qui avaient été accrochées aux fenêtres et s'étaient décrochés à cause du vent. Devant elle, un homme fut jeté dehors par un aubergiste furieux, qui claqua aussitôt la porte derrière lui. Les vociférations du poivrot dégagé sans ménagements accompagna Scarlett pendant une bonne partie de son chemin. Dans un cul-de-sac, un groupe de femmes discutaient entre elles, leurs robes découvrant leurs épaules, les jupons dépassant outrageusement de sous leur jupe. Elles parlaient très fort tout en comptant de l'argent qui glissaient entre leurs doigts sales. Scarlett ne put s'empêcher de s'arrêter pour les fixer. Tout doucement, elle les vit se retourner vers elle en sentant un regard sur leurs gestes. Elle lui adressèrent un sourire qui oscillait entre la méfiance et la moquerie, se demandant sûrement ce qu'une enfant comme elle, habillée comme une bourgeoise, pouvait bien faire sur leur territoire. Avec un frisson, Scarlett s'empressa de poursuivre son chemin, marchant sur les vestiges de la nuit passée, rubans et bouteilles vides, tabac et tâches de vin. Elle s'arrêta un instant, un bout de verre craqua sous sa chaussure. Dans laquelle de ces maisons entrer. Elle balaya du regard la rue qui s'étendait devant elle, ignorant les regards curieux que commençaient à lui lancer ceux qui rentraient chez eux après une nuit de beuverie ou de luxure, tenant une ou deux dames par la taille. Elle finit par hausser les épaules et se dirigea vers une maison de briques rouges, à la peinture délavée qui s'enlevait par plaques du mur, une enseigne brillante se balançant au gré du vent. Elle monta le petit escalier qui menait à la porte, toqua puis entra sans attendre de réponse. Elle se retrouva au centre d'une pièce essentiellement meublée de tables et de chaises, celles-ci posée sur les premières tandis qu'une femme mince passait le balai entre elles. Au fond, un comptoir s'étendait, brillant, devant des étagères couvertes d'alcools de toutes les couleurs. Contrairement à l'extérieur, l'intérieur de l'établissement était impeccable. Cela plut à Scarlett, qui décida de tenter sa chance ici.

    La femme l'aperçoit et lui adresse la parole d'une voix sèche.

    La femme au balai_ C'est fermé.
    - Je ne viens pas pour consommer, mais pour travailler. »

    La femme semble soudainement plus intéressée et pose son instrument de travail contre le comptoir. Elle essuie ses mains mouillées dans le tablier qui pend à sa taille et détaille la nouvelle arrivante, remet ses cheveux gris en place et tousse brièvement.

    La femme au balai_ Je vais chercher mon mari.

    Elle s'engage dans un escalier étroit dont les marches sont noyées dans l'obscurité.

    Quelques minutes plus tard, un homme d'une soixantaine d'années se présentait devant elle et lui faisait signe de s'assoir à une table. Il lui descendit une chaise et la lui tint jusqu'à ce qu'elle se soit mise à l'aise, comme un gentleman tient le siège de la fille qu'il courtise. Il s'assit à son tour en face d'elle, croisant devant lui ses mains tannées par le soleil, abimées par l'eau et le savon. Il avait un regard un peu flou bien que ses yeux soient d'un bleu perçant, et ses cheveux étaient rares sur son front et le haut de son crâne, le reste formant une corolle qui recouvrait ses oreilles un peu pointues comme celles des lutins des contes que l'on racontait à Scarlett lorsqu'elle était enfant. Semblant se rappeler de quelque chose, il se leva soudainement et se dirigea vers le comptoir, dénouant sa longue silhouette qui devait avoir été élégante par le passé, comme celle d'un homme puissant tombé en désuétude. Il avait un large dos, une haute stature. Maintenant qu'elle était assise, la jeune hongroise se rendait compte d'à quel point il était grand. D'ici, elle aurait presque cru qu'il pouvait toucher le plafond.

    Il attrapa une bouteille contenant un liquide blanc, et deux verres qu'il posa devant lui avant de les remplir d'une chose inconnue qui laissait Scarlett perplexe. Elle n'avait jamais vu de vin transparent. Tous ceux qu'elle avait piqués dans la cave familiale pour les déguster avec ses amis possédaient une couleur. Elle se rappela des bouteilles contenues dans le secrétaire de son père, qui étaient exclusivement réservées à lui et aux amis qu'il recevait dans le secret de son bureau, et se dit qu'elle aurait dû être plus curieuse quant à leur nature. L'homme poussa l'un d'eux vers la jeune fille tandis que sa femme, redescendue depuis, le regardait faire en levant les yeux au ciel.

    Scarlett l'attrape entre ses doigts et le fait tourner d'un air dubitatif.

    Le patron_ Alors, comme ça tu cherches du travail? 

    Elle relève brusquement la tête et se désintéresse de l'objet qu'elle tient dans sa main, tout en cherchant à ramener ses maigres connaissances de l'anglais à la surface.

    « Oui. »

    Son affirmation retentit plus fort qu'elle ne l'aurait cru dans la salle vide.

    L'homme s'enfonce dans sa chaise, pose son dos sur le dossier pour être plus à l'aise.

    Le patron_ Et en quoi pourrais-tu nous être utile?
    - Je sais chanter et danser. »

    Elle interrompit d'un seul geste les récriminations de l'homme, qui se demandait en quoi ce genre de capacités pourraient l'intéresser. Au vu de ses vêtements, elle dansait certainement comme une puritaine d'une de ces familles nobles désargentées qui obligeaient leurs filles à se vendre pour un peu d'argent.

    Scarlett reprit :

    « Pas comme vous le pensez. Je peux le faire en talons hauts, en tenues telles que vous ne les avez jamais vues. Je peux être provocante, je peux être inaccessible, je peux réveiller le désir, j'ai appris tout cela. Vous ne le regretterez pas. »

    Elle butait sur les mots, hésitait, prononçait mal. Elle en avait conscience et espéra qu'elle parlait de manière compréhensible malgré ses défauts.

    Un silence. L'homme la dévisage.

    Le patron_ Si je te prend ici, tu feras non seulement cela, mais aussi pareil que toutes les autres filles que nous avons déjà. Tu seras payée plus cher, mais je veux aussi que tu satisfasse nos clients de la même façon. 

    Scarlett acquiesce.

    Elle se doutait que partout où elle irait, on lui répondrait la même chose. Qu'elle n'avait pas le choix. De toute façon, elle avait voyagé avec Elijah. Un seul homme ou plusieurs, quelle importance?

    L'homme sembla ravi et commença à se lever en portant son verre à ses lèvres, le vidant d'un coup. Elle écarquilla les yeux, surprise. Et le fut d'autant plus quand l'homme lui demanda de faire la même chose.

    Le patron_ Toi aussi, bois à ton engagement! Tu en seras contente, tu verras. Ma femme va te montrer ta chambre, et tu commenceras dès ce soir à nous montrer tes talents. 

    Il repartit comme il était venu, souriant et débonnaire, chantonnant tout seul. La nouvelle travailleuse fixa son verre d'un œil critique, puis le porta à ses lèvres et le vida. Elle déglutit péniblement, des larmes plein les yeux. La pièce tourna un instant. Elle essaya de se lever, jugeant plus prudent de se tenir à la table. Elle repéra la femme qui soupira comme si lui montrer son nouveau logis lui coûtait énormément, et passa devant elle dans l'escalier pour la conduire. Scarlett voyait bien, mais elle avait l'impression d'évoluer dans le brouillard. Elle faillit rater une marcher et se raccrocha au mur, qui était bien plus loin qu'elle ne l'aurait cru. Arrivée dans la pièce constituée d'un petit lit, d'une coiffeuse surmontée d'un récipient pour la toilette, d'une chaise et d'une armoire, elle écouta à peine les directives qu'on lui donnait et, dès que l'autre fut partie, elle déposa sa malle à côté de son lit sans prendre la peine de refermer la porte d'entrée, se laissa tomber sur le lit et s'endormit.

    Commença alors de longues années dont les jours se ressemblèrent tous, malgré les changements d'établissements et de spectacles. Si, dans le premier, elle se contentait de danser sur le comptoir ou entre les tables, de chanter quand on lui demandait et de suivre le client qu'on lui désignait pour finir la nuit, bientôt, on lui demanda de créer de nouveaux numéros, de jouer la comédie pour pimenter ses chants et ses danses, de se déshabiller lentement pour aguicher les hommes, de s'assoir à leur table pour les faire boire le plus possible et augmenter leur note, de s'occuper de plusieurs en même temps, entre autres embuches qu'elle ne s'attendait pas à voir se dresser sur son chemin. Seulement, chaque nouveauté entrainait une augmentation de son salaire (quand on ne la menaçait pas de renvoi immédiat en cas de refus), et elle s'en accommodait comme elle pouvait. Quelque part, cette vie ne lui déplaisait pas. Elle rencontrait de nouvelles personnes qui lui racontaient leur vie (parfois, il s'agissait d'aventuriers qu'elle écoutait avec des étoiles dans les yeux, des artistes qui vivaient sur la route et venaient chercher le réconfort de leur solitude dans le quartier des plaisirs, ou encore des soldats en uniforme revenant de pays lointains), enrichissait petit à petit sa cagnotte (qui lui servait majoritairement à s'acheter de nouveaux oripeaux) et était, avantage non négligeable, nourrie et logée par la maison. Quand elle ne lui convenait plus ou que l'on avait plus besoin de ses services, elle changeait. Ainsi, elle connut, en restant dans la même zone, nombres d'univers et de langages différents qui finirent par forger le sien. Lequel, de châtié par éducation, devint vulgaire et sans entraves, à l'image des lieux qu'elle fréquentait.

    Avant qu'elle ne s'en rende compte, elle fêta ses vingt ans.

    * * *

    Quand l'homme se réveilla, elle lui désigna ses affaires et lui dit de se préparer. Alors qu'il tentait de la ramener vers lui pour un nouveau moment de plaisir, elle le repoussa. Pour avoir ce droit, il lui faudrait attendre le soir. Et ramener, encore une fois, la même somme que la veille.

    * * *


    Huitième tableau : Le cabaret


    L'année suivante, elle trouva le lieu dont elle avait rêvé. L'auberge de Blanche que celle-ci avait convertie en cabaret peu après, lui permettait d'exercer ses talents comme on les lui avait enseignées, et ce, dans un univers exclusivement féminin qu'elle appréciait au plus haut point. Leur patronne les menait d'une main de fer tout en leur laissant une liberté non négligeable : celle de choisir leur rôle. Ainsi, si certaines filles cumulaient les fonctions, d'autres préféraient conserver leur intégrité en se contentant de se produire sur scène. Scarlett arriva au tout début de sa création, attirée par cette opportunité pour laquelle elle délaisserait un boulot minable qui consistait exclusivement à se déhancher sur un bête comptoir pour enlever ses vêtements. Elle s'ennuyait à mourir à force de faire cela tous les soirs, et s'engager auprès de Blanche lui parut une des meilleures idées qu'elle ait eu de sa vie.

    Les années passèrent encore, les filles arrivaient, certaines restaient, d'autres se mariaient ou disparaissaient sans que l'on parvienne à savoir où elles étaient passées. Scarlett eut vingt-cinq ans.

    La petite_ Hé, la vieille, tu pourrais pas m'arranger mon corset s'il te plait?
    - Elle surveille son langage, la pouliche? Si tu m'appelles encore comme ça, je t'en colle une, et je t'assure qu'avec la tronche que ça te fera, t'auras pas beaucoup de clients ce soir. »

    Malgré ses paroles menaçantes, Scarlett passe derrière sa jeune acolyte pour lui agrafer son corset, serrant autant qu'elle peut pour que sa taille apparaisse bien fine. Elle ignore les soupirs coincés de sa victime et fait un nœud solide dans son dos. Quand elle a fini, elle lui donne une petite tape sur les fesses. Sa main s'enfonce dans les replis du tissu.

    « Voilà ma jolie, c'est fait. »

    Giselle, avec qui elle venait d'avoir cette conversation, s'en alla en vacillant quelque peu, cherchant à élargir son corset en tirant dessus. Arrivée il y a peu, elle apprenait leurs spectacles au fur et à mesure avec brio car elle était dotée d'une bonne mémoire, mais avait encore beaucoup de mal avec les vêtements qu'on lui faisait porter. Ainsi, si elle était d'une grâce impressionnante pendant les répétitions, sur scène elle avait un air coincé qu'il provoquait des fous rires nerveux chez Scarlett tellement elle avait l'air au supplice.

    Celle-ci faisait maintenant partie des anciennes du cabaret, avec quelques irréductibles qui ne semblaient pas prêtes de lâcher l'endroit qui leur offrait argent, divertissement et protection. En passant devant la glace, Scarlett attrapa un rouge qui trainait sur la table et se remaquilla. Elle arrangea son costume écarlate et rejoignit la troupe qui se préparait déjà à entrer sur scène. Aux premières notes, elles surgirent de derrière les rideaux devant une foule de mâles attentifs. Toutes, sur leurs talons hauts, dominaient les spectateurs qui se tenaient dans la salle. Quand s'élevèrent leurs voix aux accents disparates et que commencèrent à se relever les jupes couvertes de tulles, les premiers commentaires appréciateurs se firent entendre.

    * * *

    S'il fut vexé par son refus, il n'en montra rien. Comme les autres, il souhaitait simplement une femme jetable, qui comblerait ses désirs sans qu'il ait besoin de s'occuper d'elle. Elle ouvrit la marche pour le ramener à l'extérieur. Malgré les gestes, pas une parole ne fût échangée.

    * * *


    Neuvième tableau : Scène de vie


    Scarlett releva la tête quand un cri retentit près de la porte, suivi par un bruit de chute, alors qu'elle descendait l'escalier derrière son partenaire de la nuit. Elle vit le mari de Blanche rentrer avec un air timide mais satisfait, et se replacer derrière son comptoir. Elle se tourna vers sa patronne après avoir fait sortir l'autre homme, qui regardait la silhouette ramassée au pied des marches de l'entrée.

    « Il a fait quoi celui-là? »

    Blanche est en train de ramasser des verres sur les tables laissées vides par le départ des derniers fêtards.

    Blanche_ Il a risqué un commentaire désobligeant à propos de Coppélia, alors on lui apprend à être poli, ça ne peut pas lui faire de mal.

    Scarlett a un sourire amusé et se sert un verre derrière le comptoir.

    Blanche_ Ce sera enlevé de ta paye, tu sais. 

    Elle lui tire la langue et s'empresse de rajouter de l'alcool dans son verre avant de remettre la bouteille en place. En voulant s'assoir sur le comptoir, elle avise deux pistolets et une épée qui trainent derrière. Elle en caresse le tranchant et se redresse.

    « C'est quoi ça?
    Blanche_ Des joujoux qu'on a confisqué à nos amis de la garde. Belle facture. Et bon prix au marché noir. 

    Au fur et à mesure, les filles remplissaient la salle tandis que les hommes la désertaient, certains retournant dormir chez eux tandis que d'autres allaient travailler, le pas trainant et les yeux cernés. Quand il ne resta plus aucun intrus pour entraver leurs projets, elles passèrent dans la salle de derrière pour discuter de la suite de leurs activités illicites. Car si de nouvelles arrivantes se mêlaient petit à petit à leur cercle d'initiées, toutes avaient un point commun : celui de vouloir résister à la tyrannie des princes qui avaient pris le pouvoir et entravaient leur liberté avec un peu trop d'insolence à leur goût. Certaines prirent une chaise, d'autres s'assirent à même les tables, les dernières enfin s'installèrent par terre, sur les coussins que l'on avait ramené pour donner un aspect coquet à la pièce. Blanche se plaça devant elle, son mari se retira pour remettre de l'ordre dans la maison.

    La réunion pouvait commencer.

    * * *

    Aucun d'eux ne se retourna pour le départ de l'autre. On ne contemple pas ceux que l'on oublie dès qu'on les quitte.

    * * *


    Dixième tableau : Liberté


    La femme aux cheveux auburn caressait les bagues accrochées à la chaine qui pendait autour de son cou. Elle avait un châle sur ses épaules, sa chevelure détachée venant le caresser. Contre sa robe de velours rouge, elle portait un panier avec différents aliments et quelques bouteilles qu'elle comptait ramener au cabaret, ayant été chargée des courses pour la journée. Cependant, alors qu'elle allait rentrer, une clameur sauvage l'avait attirée vers la grande place, où une assistance déchainée criait et applaudissait sans discontinuer. Au centre, Scarlett put discerner une silhouette mince et apeurée qui était dirigée vers un billot par la poigne rude de deux soldats aux visages fiers, tandis que le bourreau attendait, sa hache à la main. Le gamin fut projeté contre le bois, les clameurs augmentèrent. Au moment où le bourreau leva sa hache, elle eut envie de fermer les yeux pour ne pas voir la suite, mais se força à les garder ouverts. Pour se faire une idée précise de cette République qui s'instaurait, elle devait tout voir, tout tenter de comprendre. La hache s'abattit, et en un seul coup, la tête roula sur le sol, tandis que le public se déchainait. On pouvait y apercevoir des enfants, des vieillards, des mères de famille. Mais tous semblaient heureux du spectacle qui venait de s'offrir à eux.

    Scarlett décida de rentrer au moment où la foule commençait à se disperser, à présent indifférente quant au cadavre de l'enfant que l'on venait de mettre à mort. Quand elle s'aperçut que ses doigts étaient serrés très forts autour de la hanse du panier, elle s'efforça de les desserrer et d'adopter une expression sereine. En passant la porte du cabaret, elle lança un salut retentissant aux occupants, déposa ses achats sur une table et rangea l'argent restant. Sanglante ou non, une nouvelle journée commençait. Ce soir, les hommes seraient nombreux à faire la fête.

    * * *

    Scarlett descendit de la scène et se dirigea vers un homme aux cheveux noirs qui l'observait depuis le début du spectacle. Du coin de l'œil, elle avisa ses camarades faire de même : chacune, pendant qu'elles dansaient, avaient essayé de repérer un client potentiel. Elle s'assit sur la table d'un mouvement souple et remonta ses jupes, faisant trembler la bouteille qui s'y trouvait, puis se pencha vers celui qui y était assis, croisant ses jambes et attrapant brièvement son menton entre ses doigts.

    « Ça te dit un peu de compagnie, chéri? »


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    « Passionnément nous y pensions
    A la P... points de suspension »

    La putain, Regiani

    IV – Anastasie censure


    Votre nom ou pseudo : Lulu/sblarf
    Comment avez-vous découvert le forum ? Il y a maintes années, je chevauchais sur mon blanc cheval et je suis arrivée à une rivière et/VLAN
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MessageSujet: Re: Scarlett - Rouge fille de joie   Scarlett - Rouge fille de joie EmptyJeu 2 Aoû - 15:19

    dkjfksqjfhfujbgkg comme toujours, ta fiche est diablement longue XD Mais über cooool, j'aime Scarlett (j'avais envie de faire un jeu de mot tout pourri en disant "Scarlett est un perso haut en couleurs!" ... scarlet, rouge, couleur, hahahahah/porte) et comment tu écris son histoooire *o*

    Alors comme je n'ai absolument rien à redire à cette fiche (bon Dieu cesse de paranoïer mon enfant, je te dis qu'il n'y a pas de problème), je te valide sur le champ ! Continue à t'amuser sur DP, joyeux compagnon 8D

    Validée > Iresolute(ça me perturbe de mettre du bleu sur cette fich/sblarf)
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