Encore une fois, Gabriel s’était oublié. Il n’avait jamais vraiment fait attention à cette notion qu’était l’heure. Alors bien sûr, il arrivait toujours pile à temps pour ses quelconques rendez-vous, mais ceci mis à part, il n’était pas du genre à garder le regard rivé sur la pendule. Il ne faisait même pas attention aux cloches de l’église qui sonnait inlassablement toutes les heures. Du coup, rien d’étonnant à ce que monsieur fasse des heures supplémentaires sans même s’en rendre compte.
Ce soir-là, c’était le cas par exemple. Trop absorbé par son entrainement, il n’avait pas remarqué le noir de la nuit s’installer dehors. Finalement, ce ne fut que lorsqu’un domestique entra dans la salle pour allumer des chandelles que le blond se rendit compte qu’il ne devait pas être là. Il aurait dû être rentré chez lui depuis fort longtemps, surtout en pensant au couvre-feu. De par son statut et son métier, il pourrait facilement s’en sortir s’il tombait sur une patrouille lors de son retour, mais tout de même, mieux valait éviter le plus possible les ennuis, et tenter trop souvent la chance était risqué.

Pas un bruit dans les couloirs, pas âmes qui vive. Pourtant, la lumière d’un feu de cheminé lui parvenait de l’interstice d’une porte. N’était-ce pas la salle du personnel ? Il y allait peu, préférant laisser cet espace aux majordomes et autres soubrettes. Pourtant, il était intrigué à présent. Qui donc pouvait veiller si tard dans ce château froid comme la nuit ?
Lorsque Gabriel ouvrit la lourde porte dans un grincement sonore, ce ne fut rien de plus qu’une jeune fille au regard sombre qui apparut devant lui. De profil par rapport à elle, il ne sut si elle l’avait aperçu au pas, mais à moins d’être sourde, elle l’avait au moins entendu. Voilà pourquoi il fut persuadé qu’elle s’adressait à lui.

- N’est-ce pas un peu triste de se définir comme un cauchemar ?

S’avançant, il remarqua l’insecte, et comprit. Juste une enfant à peine devenu adulte qui noyait sa solitude en confiant ses états d’âmes à un papillon. Quel doux tableau que celui-ci.
S’approchant plus doucement, Gabriel s’excusa, d’un sourire doux.

- Mea culpa. Je n’avais pas vu votre petit ami, j‘étais persuadé que vous me parliez.

L’incongruité des paroles de la jeune fille lui arracha un léger rire. Le rire d’un homme qui avait vécu suffisamment pour déjà avoir eu affaire à ce genre de remarques. Il était toujours amusant de constater de quelle façon les autres le voyait.

- Ai-je autant l’air d’un homme d’église ? J’aime Dieu mais je ne le sers pas, du moins, pas dans une église. Je ne suis qu’un modeste escrimeur, je n’ai aucune autre prétention.

Il ne portait pourtant pas la bure ni la soutane. Peut-être était-ce son visage fin et son expression si calme qui faisait croire aux gens son appartenance au culte ? D’après ce qu’il avait compris, Gabriel avait tendance à vite inspirer la confiance, peut-être cela jouait-il en quelque chose sur ce fait. Se déplaçant face à la dénommée Blue Nightmare – quel étrange nom que celui-ci – il amorça une très légère révérence, politesse oblige pour ces dames.

- Je m’appelle Gabriel, je suis le Maitre d’armes du château, rien de plus. Cela dit – il se redressa, laissant échapper un petit soupir ennuyé – vous avez raison, si on me trouve ici, la garde risquerait de ne pas apprécier… Disons que l’horloge et moi, nous ne sommes pas très amis.

Il conclut sa phrase sur un autre rire, plus cristallin. Le silence eut à peine le temps de revenir que Gabriel reporta son attention sur le papillon. Il se demandait bien de quelles couleurs il pouvait être. Comme la jeune fille ne répondait pas, se contentant de l’observer d’un air gêné, il entreprit de s’adresser à elle de sa voix la plus douce possible.

- S’il vous plait, n’ayez pas l’air si mal à l’aise. Je ne voulais pas vous déranger, j’ai seulement été intrigué par la lumière…. Peut-être devrais-je vous laisser ?