S’il y avait un moment de la semaine que Gabriel appréciait plus que tout, c’était bien celui de la messe du dimanche matin. Certes, l’office le forçait à se lever aux aurores, une vraie torture pour lui. Mais en échange, il savait qu’il gagnerait la paix intérieure, la paix de son âme. Plus que l’expression de sa propre foi, le fait d’aller à la messe lui permettait de faire le point sur lui-même. La fraicheur qui régnait dans l’église et le calme religieux – c’était le cas de le dire – rendait l’atmosphère parfaite pour les introspections et les états d’âmes.
Le prêtre célébrait son office d’un ton monocorde et posé. Gabriel ne manquait pas de se lever dès qu’il le fallait pour réciter des Pater Noster et autres Je vous salue Marie. Les prières, les instants de méditations silencieuses et les chants des chœurs d’enfants prenaient place tout à tour, montant jusqu’à la nef. Dehors, l’hiver frappait avec force et rudesse. Les murs froids du bâtiment, bien que peu chaleureux, permettaient au moins d’être à l’abri des vents et de la pluie. Et puis, la foi et la piété servaient de couverture duveteuse aux corps des croyants présents.

Après la distribution de l’Ostie, alors que la messe prenait fin, Gabriel daigna enfin jeter un coup d’œil aux autres présences. Dans le lot, il y avait énormément de personne qu’il connaissait, ne serait-ce que de vu. Notables, hommes de foi, jeunes soldats suivant ses cours d’escrime, bourgeoises et autres classes sociales, tout était représenté ici, du beau monde jusqu’à l’homme de moindre envergure. L’autre majorité des gens, il ne faisait que les croiser ici, au sein de cette église, chaque dimanche. Rien de plus, rien de moins, juste des visages croisés et recroisés au fil des semaines. De loin, il lui sembla reconnaitre une de ces personnes qu’il ne pouvait connaitre que de loin. Une jeune femme au regard déterminé, à la silhouette fine et élancée. De par ses manières et sa toilette, on pouvait aisément deviner ses origines nobles. Pourquoi donc cette fille avait-elle capté son attention plus qu’une autre ?

Il ne devait pas se poser ce genre de question, pas dans la maison de Dieu. Contrairement à la masse de gens retrouvant leur vie de simples badauds en sortant le plus vite possible de l’église, Gabriel choisit de rester un peu. C’était son petit rituel, toutes les semaines. Il attendait que tous les croyants, ainsi que le prêtre et les chœurs, ne s’en aille, pour profiter parfaitement et en toute quiétude de l’endroit. Il fallait généralement qu’il attende une bonne dizaine de minute avant que ne s’écoule le dernier murmure étranger.

Assit sur un des bancs de bois, quelque part vers les premiers rangs, il entendit dans son dos la lourde porte de bois se refermer dans un claquement sec et froid. Le silence était enfin tombé. Le voilà, le vrai moment qu’il attendait.
Persuadé d’être seul, il poussa un profond soupir de lassitude. Ici, quand il n’y avait personne, il pouvait se permettre ce petit instant de faiblesse, à lui, le maitre d’armes qui jamais ne devaient flancher. Il posa un regard rêveur sur les immenses vitraux en face de lui. Lui qui ne pouvait voir les couleurs était dans l’impossibilité de bien comprendre quelles scènes ils pouvaient représenter. Sa vision se troubla brusquement et il se frotta les yeux. Décidemment, sa maladie oculaire le gênait de plus en plus souvent ces derniers temps. Heureusement qu’il se retrouvait seul ici, sans personne pour assister à ses instants de faiblesses, n’est-ce pas ?