Dangerous Doll ~ PV Eden

Invité

[C'est court et j'ai pas le temps de relire, hiiii!]

Swann lâcha un soupir. Il se demandait encore comment Lord Nathanaël s'y était pris pour réussir à le traîner dans cet endroit.
La salle était coquette. Étroite, limitant l'espace entre les petites tables nappées de broderies à seulement quelques pas; elle était l'une des nombreuses pièces où la Cours aimait à se réunir. Un salon de thé.
Quelques éclats de rire cristallins traversèrent la pièce, étranges, faux. Le garçon tenta de capter le regard de son Maître pour lui envoyer une sorte de message télépathique « Partons d'ici, partons d'ici, partons d'iciii... ». En vain; le Marquis semblait ne prêter attention qu'à sa tasse, un sourire aux lèvres tandis qu'il sirotait son thé. Swann l'avait fini depuis longtemps, en quelques gorgées, comme s'il avait sottement espéré qu'il aurait le droit de sortir une fois l'infusion bu. Il s'enfonça un peu plus dans son fauteuil drapé de jaune.
Jaune, comme la pièce, "Le Salon Jaune". Il faut dire qu'elle portait plutôt bien son nom. Des rideaux jaune pâles, translucides sous les rayons du soleil automnale; des nappes et tapis jaunes, aux motifs niaisement fleuris; des tasses en porcelaine blanches et jaunes... Swann ferma les yeux, faussement écœuré.
Oui, il se demandait vraiment comment son Maître l'avait convaincu de venir avec lui – quoique, en fait non, il le savait très bien: il n'avait juste pas eu le choix. C'était cruel de lui faire ça, vraiment, et en même temps avait-il le droit de s'en plaindre? Bien sur que non. Cela faisait parti de son rôle de Garçon de Compagnie, d'accompagner le Lord où il le souhaitait, quand il le souhaitait; d'exaucer ses désirs et caprices en silence. D'autres rires se firent entendre, plus aigus, accompagnés par le tintement de la porcelaine. Swann soupira de nouveau.

Soudain, un détail attira son attention. Sur sa gauche, prêt de la porte. Comme un mouvement, aperçu du coin de l'œil; une petite tache foncé au milieu de toutes ces couleurs claires. Il tourna la tête pour voir une enfant, à la robe noire contrastant avec ses longs cheveux blonds et sa peau clair, et dont le regard sombre semblait voilé de ténèbres impalpables. Eden.
Il avait déjà vu des portraits de cette fillette, la sœur des deux Princes tyranniques. Jamais il ne l'avait aperçu en vrai - comme beaucoup d'autre, après tout, elle paraissait ne s'exposer que rarement aux yeux du monde - mais il remarqua qu'en vrai comme en peinture, son regard était le même. Pesant et silencieux. Comme lui. En cet instant, elle le dévisageait avec ce regard impassible, et lui faisait de même. Elle eut un petit sourire, imperceptible; puis lui fit signe de la suivre d'un léger signe de main avant de se glisser dans le couloir par la porte entrouverte. Swann hésita.
Son Maître lui avait fortement conseillé de ne pas s'approcher de la Royauté. Il l'avait dit, sérieux, le ton de sa voix étrangement grave, et lui avait précisé également de ne pas se laisser entrainer par quiconque, noble ou villageois, sans son autorisation.

Mais... C'était un conseil, que le Marquis lui avait donné, pas un ordre. Et puis, il ne se laissait pas réellement entrainer, si c'était lui qui la suivait de son plein gré?

Il se leva, doucement, discrètement. Trop absorbés qu'ils étaient par leur propre personne – et trop absorbé que le Marquis l'était par son thé – les Nobles ne le remarquèrent pas se faufiler en dehors du Salon Jaune.
Personne ne le vit suivre Eden dans des dédales de couloirs; aucun ne le soupçonna de rentrer dans la vaste chambre de la fillette blonde.
Et lui-même ne savait pas encore que si la porte se refermait derrière lui, c'était pour ne plus jamais s'ouvrir.

Swann. Elle l’avait aperçu il y avait un moment de cela, comme toujours accompagné de son maître, Lord Nathanaël. Elle avait retenu son nom dans le seul but de pouvoir le retrouver plus facilement. Swann. Le cygne. Un oiseau à qui briser les ailes. Elle souriait souvent à cette pensée. Ce jour là, elle sût qu’il était temps de faire connaissance.

Par principe, elle ne s’approchait jamais du salon jaune. Trop lumineux. Beaucoup trop lumineux. Elle devait cependant faire une exception. Quelque chose d’exceptionnel pour une proie exceptionnelle. Mais elle ne ferait pas un pas de plus dans la salle, ça non. Elle attendit donc que sa présence près de la porte attire l’attention de sa proie, lui adressant alors un sourire énigmatique. Il fallait qu’il soit intrigué, suffisamment pour qu’il prenne le risque de la suivre comme elle le lui indiquait. Puis elle partit, mystérieuse comme une ombre se promenant sans but précis. Mais elle avait un but.

Elle entra dans sa chambre, non sans vérifier que le jeune homme l’avait bien suivit jusque là, puis, dans la pénombre, elle s’installa sur une petite chaise face à une table basse. Elle avait tout prévu. Les tasses en porcelaine noire devant chacune des chaises, où étaient installées des poupées. Sauf sur deux. La sienne, et celle de son invité. Swann. Elle attendit qu’il referme la porte derrière lui avant de se lever et de le saluer avec un grand sourire et une courbette.

- Nous vous attendions pour le thé messire Swann.

Elle insista légèrement sur son nom, comme pour lui montrer que sa présence ici n’était pas un fruit du hasard. Elle s’approcha de lui, silencieusement, sournoisement, avec un sourire carnassier accroché aux lèvres.

- Tu dois enlever ton chapeau, c’est d’usage.

Elle lui retira son chapeau avec toute la délicatesse dont elle était capable et le posa sur un fauteuil à proximité. Puis elle retourna à sa place où elle s’assit, intimant à Swann d’en faire autant. Elle le dévisagea un moment. Ses yeux étaient vraiment étranges… Elle avait une poupée avec des yeux qui ressemblaient à ceux de Swann, mais sans être exactement les mêmes. Ceux de Swann semblaient presque plus inexpressifs que ceux de la poupée. Étrange, très étrange. Peut-être qu’il lui ressemblait en fait."Non, il ne te ressemble pas, personne ne peut savoir ce que tu ressens." Oui, elle était seule, absolument seule. Elle n’avait que ses poupées.

- Choisis-en une. Elle te représentera.

Elle se pencha en avant au dessus de la table et chuchota, comme pour faire en sorte que les poupées ne l’entendent pas.

- Si tu prends le thé avec des poupées sans prendre d’intermédiaire entre leur monde et le tien, elles n’auront pas confiance en toi et tu ne pourras pas les entendre parler, ce serait dommage non ?

Elle lui adressa un nouveau sourire et prit une poupée sur ses genoux. Elle était certaine que Swann jouerait le jeu. Quelqu’un d’autre s’enfuirait en courant, mais pas lui. Pas Swann. Sans le vouloir, elle le regardait à présent avec des yeux implorants. Il ne devait pas partir.

[buuuhu c'est moche, moche, mooooche >.<]

Invité

[Parle pour moi .__. ]

C'était comme s'il entrait dans un autre monde.
Ici la pièce n'était pas claire, mais sombre. Ici les rideaux étaient tirés, ici la vaisselle était noire, ici le thé n'était qu'imagination et ne brûlait pas la gorge. Ici les invités étaient fait de porcelaine.
Il venait de passer de l'autre côté du miroir.
La fillette fit une révérence, comme l'usage le voulait dans le beau monde. Mais n'était-ce pas plutôt une imitation de la réalité?

- Nous vous attendions pour le thé messire Swann.

Elle insista sur son prénom, comme pour lui signifier qu'il était attendu. Et effet, il y avait une chaise de libre pour lui, et une poupée qui lui était destinée.
Un sourire sanguinaire accroché aux lèvres, elle se mit sur la pointe des pieds pour lui ôter son chapeau délicatement.

- Tu dois enlever ton chapeau, c’est d’usage.

Tiens? Elle se mettait à le tutoyer, soudainement. Que devait-il penser de cela? Qu'elle le considérait comme moins bien qu'elle, sans doute, après tout elle était de sang royale et lui non. Mais pourquoi l'aurait-elle appelé « Messire » dans ce cas? Ou bien voulait-elle lui dire qu'il n'y avait plus de codes entre eux... Du moins, plus de codes aristocratiques qui soient habituels?
La fillette ne lui laissa pas plus de temps pour s'interroger, elle lui ordonna de choisir une poupée. Pour le « représenter » disait-elle. S'il comprenait comme il fallait la situation, ils allaient bel et bien jouer à la dinette. Il avança sa main vers une masse de boucles blondes aux dentelles pourpres, au hasard, avant de s'arrêter net. Dans un panier, reposant parmi tant d'autres, somnolait une poupée à son effigie.

Non, ce n'était pas lui. Presque, mais pas tout à fait. La porcelaine était blanche, les habits de soies, bleus, les cheveux d'un brun légèrement roux. Les yeux, verrons, comme lui... Mais c'était l'œil droit qui était vert et non le gauche, contrairement à la réalité. Enfin, et cela était évident, le petit pantin avait beau lui ressembler, il n'en restait pas moins une représentation féminine. Swann pouvait s'admirer porter une robe et une capeline chargée de fleurs.
Il tendit la main vers elle, l'attrapa sans en détacher son regard. C'est à peine s'il écouta ce qu'Eden lui expliquait - une vague histoire de prendre les poupées pour intermédiaires si l'on voulait qu'elles nous écoute - son mini-sosie le perturbait trop. Quand il tourna enfin la tête vers la fillette, elle s'était assise et l'observait avec des yeux presque suppliants. Il s'assit à son tour.
La petite chaise était en bois, bleu, cabossée, comme un jouet d'enfant. Il y en avait une autre à côté de lui, surement destinée à l'autre invitée, Mrs Poupée, mais Swann préféra la garder sur ses genoux. Avec une étrange rêverie, il entortillait de ses doigts fins les boucles brunes du jouet, attendant que la princesse commence le jeu. Mais Eden ne disait rien. Quand il comprit qu'il en serait ainsi tant qu'il ne parlerait pas, lui, il prononça quelques faibles mots étranglés:

- Hum... Pardonnez mon retard, très chère.

Il tendit la poupée en avant, pour montrer que c'était elle qui parlait et non lui. Rougissant légèrement au début, ses paroles prirent de l'aplomb dès l'instant qu'il constata que le visage d'Eden était resté sérieux, voire grave et concentré sur la scène:

- C'est que j'étais retenue par mes compagnes, au salon. Vraiment, ces nobles de bas étage, n'en est-il point de plus opiniâtre?

Il était passé de l'autre côté du miroir, et il comptait y jouer encore longtemps.

...

Eden était satisfaite. Elle avait craint un instant que Swann ne parte après avoir vu cette poupée qui lui ressemblait étrangement, mais non. Au contraire, il avait choisit cette poupée. Peut-être pensait-il que ce serait plus simple pour communiquer… Dans tous les cas, il était resté. Elle devait le mettre en confiance, se rapprocher de lui pour mieux le connaître. Elle avait toujours voulu connaître Swann. Énigmatique Swann. Toujours le visage neutre. Comme elle, peut-être ? Non, personne ne pouvait la comprendre, elle était la seule dans son cas. Elle devait percer sa carapace d’indifférence puis détruire l’âme qu’elle contenait, sans un remord. Et l’âme brisée rejoindrait le corps de tissus et de coton que le pauvre Swann tenait en ce moment même entre ses mains.

- Hum… Pardonnez mon retard, très chère.

Ses yeux s’illuminèrent. Swann venait de lancer la machine infernale. Et, pareille à une immense horloge, elle ne s’arrêterait pas. Sa mécanique infinie se répèterait inlassablement jusqu’à ce qu’elle ait atteint son but.

- C'est que j'étais retenue par mes compagnes, au salon. Vraiment, ces nobles de bas étage, n'en est-il point de plus opiniâtre?

- Vous êtes toute excusée !

Elle s’était empressée de répondre, comme si la poupée ne voulait pas perdre de temps. Oui, le temps, cet ami précieux qui nous abandonne lâchement lorsque notre heure est venue. Ami indigne, qu’il nous arrive de détester. Mais c’est toujours lui qui nous abandonne le premier. Le temps est tellement important pour nous, nous qui ne sommes rien pour lui…

Elle se souvenait de cette jeune fille noble, qui avait si peur de voir ces vicieuses rides apparaître sur son mignon petit visage. Elle l’avait rassurée, elle l’avait prise par la main, et elle l’avait laissée choir dans les profondeurs obscures de la terreur. Oui, elle vieillissait. Eden n’avait rien fait de plus que de mettre un miroir face à ce visage qu’elle chérissait tant. Et son âme perdue se trouvait à présent prisonnière de cette enveloppe à son effigie. Swann allait la rejoindre, bientôt peut-être.

- Nous sommes très heureuses de vous avoir en notre compagnie, vous savez ? Il faut dire que vous êtes très prisée, et nous vous sommes reconnaissantes d’avoir accepté de passer ces quelques poignées de votre précieux temps avec nous.

La petite princesse adressa un grand sourire à Swann. Elle était satisfaite. Il se rendrait sûrement compte de l’importance qu’il avait dans ce « jeu » et prendrait de l’assurance. Et elle pourrait lui faire dire ce qu’elle voudra. Son plan était parfait. Elle prit la petite main de sa poupée dans la sienne et la fit attraper la anse de la théière.

- Vous prendrez bien un peu de thé ? Nous sommes là pour cela, après tout !

Et, sans attendre, elle mima les gestes de verser lentement le thé bouillant dans la tasse du jeune homme, de rajouter du lait, puis du sucre. Puis elle se rassit et elle l’observa. Elle observa le moindre de ses mouvements, jusqu’au simple battement de cil. Elle attendait un signe. Un signe pour essayer de le comprendre, de rentrer dans son cœur pour y voir plus clair, pour savoir où se diriger pour lui faire le plus mal possible. Elle attendait un signe du cygne. Son arc à la main, prête à tirer un trait meurtrier, elle le regardait avec l’insistance de l’aigle observant sa proie. « Mon joli petit oiseau… Je vais te donner des graines, tu peux bien m’offrir ta vie ? »

Invité

"Conversations in my room.
Saving every tear for you.
Trusting every word untrue
Twilight fading."

Swann ne bougea pas pendant un moment. Il se demandait s'il devait faire boire le thé imaginaire a sa poupée, ou bien s'il devait mimer l'action lui-même. La réponse lui parut évidente quand il se souvint la manière dont la petite princesse avait fait servir le thé à son jouet. Maladroitement, donc, il attrapa la petite main de porcelaine et tenta d'y emboiter les doigts sur le crochet de la tasse, pour ensuite porter l'objet à ses lèvres ivoirines. Swann imagina l'odeur du thé: riche, sucrée, savoureuse – comme la senteur qui embaumait les appartements de son Maître, le matin.

Il leva les yeux vers la princesse Eden. Elle le fixait, intensément. Il n'y eu aucun autre mouvement que leurs pupilles neutres et concentrées, vide de sentiments. Quatre paires d'yeux de verres, pourrait on croire. Mais personne n'est jamais tout à fait impassible, pas même Swann, pas même Eden: dans les yeux de la princesse, on décelait la faim, dévorante et obstinée. Quant à ceux du garçon, ils trahissaient une crainte inconnue.
Puis Swann baissa les yeux, se souvenant qu'il n'avait pas le droit de croiser le regard avec une Royauté aussi longtemps. Histoire de détourner l'attention de sa faute, il demanda, tout bas:

- V... Vous arrive-t-il souvent de jouer à la poupée... Avec des gens quasi-inconnus, votre Altesse?

Il eut l'impression d'oublier quelque chose... Mais quoi? Quelque chose le tiraillait soudain, faisait accélérer les battements de son cœur. Il tenta de comprendre ce qui n'allait pas dans son comportement, dans ses paroles.

Son sang ne fit qu'un tour. Il avait oublié de prendre sa poupée comme intermédiaire.

Eden allait-elle en tenir compte? Oui, surement, vu comme elle avait insisté sur ce fait à son arrivée.
L'enfant devrait rester calme et souriante, comme à son habitude mais... Quelque chose au fond de lui lui affirmait le contraire. Il visualisa soudain la petite princesse, le visage déformé par la rage et un cri continu s'échapper de ses lèvres. Serait-ce possible? Non, surement pas. C'était juste l'ambiance de la pièce qui l'angoissait et le faisait s'imaginer ce genre de scène improbable.
Toutefois, il tenta de se rattraper. Il fit abaisser le bras de la poupée pour reposer la tasse sur la table basse, puis, prenant le jouet de ses deux mains, l'agita légèrement comme pour montrer que c'était désormais le pantin qui parlait. D'une voix plus forte, il lança confusément:

- Heu... Qu'aviez-vous donc prévu de faire, aujourd'hui?

Doucement, l'obscurité du soleil couchant gagnait la chambre de l'enfant, éparpillant au passage les derniers rayons de soleil au travers des rideaux.

"Fate changes faster than the death of light.
You provide the envy and I'll provide the spite.
Reflections cutting every face in two.
Casting shadows in the pale shade of blue."

Le jeu était terminé.

Sans un mot, la petite princesse au regard de brume se leva. S’approchant d’un immense miroir, elle prit une aiguille et entreprit de relever ses cheveux blonds en un chignon improvisé. Elle paraissait très concentrée, mais elle ne quittait pas le jeune homme des yeux. C’était comme s’il était là sans être là. Comme un fantôme. Elle se demandait ce qu’il se passerait si elle plongeait l’aiguille qu’elle tenait entre ses mains dans sa chair si pâle, si elle tranchait cette blancheur laiteuse jusqu’au plus profond de son être. L’effleurerait-elle seulement ? En transe, elle imagina son sang pourpre sur ses mains, aussi rouge qui son œil brillant dans l’obscurité. Elle en tremblait presque.

Mais elle ne devait pas.

Il était comme l’inconstante lune : inaccessible. Elle ne pouvait que regarder du bout des doigts le moment où elle pourrait enfin l’entraîner dans un enfer de flammes et de sang. D’une voix mesurée, comme un murmure, elle lui proposa :

- Et si nous jouions à autre chose ? Aux marionnettes par exemple.

En effet, en regardant tout autour de lui, Swann pouvait remarquer le nombre considérable de pantins de bois accrochés aux murs ou simplement posés sur des étagères. Jouets inutiles, seules preuves d’un amour dont elle ne voyait pas l’intérêt. Elle aurait préféré avoir une chambre vide, vide de sens comme sa tête. Sa tête était un coffre à jouets, et elle se perdait dedans.

En quelques enjambées, elle se trouva à ses côtés, souriant comme sourirait une petite fille heureuse. Elle avait l’impression d’être dans un rêve, ce garçon ressemblait tellement à une poupée fragile… Doucement, elle prit sa main dans la sienne, jouant un instant avec son poignet avant de tourner autour de lui, comme une danse oubliée. Elle se trouva derrière lui, toujours tenant sa main dans la sienne.

- Nous sommes tous des marionnettes, tu sais ? Ils font de nous ce qu’ils veulent… Et au moment où on s’y attend le moins ils coupent le fil !

Pour illustrer ses propos, elle laissa retomber la main du pauvre cygne prisonnier. Elle n’aimait pas tellement le contact avec les autres, mais elle le lâcha à regret. Elle ne pouvait plus sentir son pouls vibrer délicatement sous la mince couche de peau de son poignet, ni voir de près les sillons bleus violacés de ses veines… Elle soupira. Pas un soupir grossier comme ceux d’un artisan croulant sous le travail et les impôts, non, un soupir de petite princesse, un souffle léger s’échappant imperceptiblement de ses lèvres.

- Mais nous, nous sommes différents, tu ne crois pas ? Si nous unissons nos forces, ils ne pourront rien contre nous…

Elle déposa ses mains sur les épaules de Swann, comme pour lui dire de rester avec elle, de ne pas l’abandonner, attraper son cœur au vol et ne pas le lâcher. Il devait être de son côté, être son chevalier servant toujours prêt à l’aider. Il devait croire à une vie entière basée sur un mensonge, une vie qui n’existait pas, il n’y avait jamais eu d’Eden. Mais il devait y croire, et voir ses convictions s’écrouler d’un seul coup, comme un château de cartes. Dans l’obscurité grandissante de sa chambre à coucher, cachée derrière les épaules menues d’un adolescent perdu, la petite princesse souriait.

Invité

[J'avais posté avec Clelio au début XD]

Apparemment, Eden n'avait pas apprécié que Swann se trompe. Mais plutôt que de lui en vouloir directement, elle se détourna de lui sans un mot. Le garçon en fut soulagé: jouer à la poupée n'était vraiment, vraiment pas son fort, maintenant il le savait.
La petite princesse nouait ses longs cheveux en un chignon inopiné, jouant avec ces cascades de mèches blondes d'un air concentré... Sans toute fois le lâcher des yeux. Swann détourna son regard. D'abord parce qu'il savait très bien qu'il était interdit de regarder une Royauté dans les yeux; ensuite, parce qu'étrangement, il se sentait mal à l'aise. Et cela n'arrivait en principe qu'à ceux qui croisait le regard neutre de Swann. Il l'entendit murmurer une proposition: jouer à autre chose? Aux marionnettes?
L'adolescent promena son regard dans la chambre, et il les vit. Par dizaines, suspendues aux murs dans des positions d'acrobates, reposants sur des étagères d'un œil vide, trainant au sol comme des cadavres. En chiffon, en porcelaine, en cire. En princesses, en paysannes, en arlequines. Toutes, absolument toutes les marionnettes les attendaient, tournées vers eux, un air suppliant derrière leur sourire de pierre. Il sentit qu'on lui prenait la main.
Swann s'arracha à sa contemplation: la princesse Eden venait de le rejoindre en quelques pas, silencieuse et souriante. Il ne comprenait toujours pas son regard quand elle se mit à jouer avec son poignée, avant de tourner autour de lui comme une danseuse sortie d'un boite à musique, laissant les mots devenir mélodieux une fois qu'elle fut postée derrière lui:

- Nous sommes tous des marionnettes, tu sais ? Ils font de nous ce qu’ils veulent… Et au moment où on s’y attend le moins ils coupent le fil !

La fillette laissa retomber la main du garçon sur la table de jeu. Swann n'osa pas répondre, incertain. Si la Princesse parlait des Princes... voulait-elle dire qu'elle était malheureuse? Il entendit un soupir.

- Mais nous, nous sommes différents, tu ne crois pas ? Si nous unissons nos forces, ils ne pourront rien contre nous…

Lui demandait-elle de s'enrôler à son service? Ou lui soufflait-elle une idée, une petite idée non pas moins vide d'importance, une toute petite idée remettant en cause l'autorité même des Princes? Eden mit ses mains sur ses épaules, il ne bougea pas pendant un long moment. Puis, lentement, il articula doucement:

- Votre Altesse... aurait-elle besoin de mon aide?

Mieux valait expliciter la chose directement, sans tourner autour du pot au risque de déclencher un quiproquo. Mais s'il s'agissait réellement de cela... Il fallait être clair également. En priant une fois de plus pour ne pas déclencher la colère de la fillette, Swann se retourna sur son siège, de telle sorte que la Princesse dû lui lâcher les épaules pour qu'il se retrouve face à elle, la regardant d'en bas.

- En ce cas j'aimerais vraiment vous obéir, Princesse... Si je n'étais pas déjà aux ordres d'un autre.

Après un court silence, il ajouta dans un souffle, les mains posés sur ses genoux comme un petit garçon sage:

- Navré.

Il inclina la tête en avant, comme pour illustrer son excuse, puis releva son visage pour observer la réaction de la Princesse Eden. Il en oublia même de ne pas croiser son regard.