Rififi chez la comtesse [PV Ruby]

Il n'était pas dit que Lucien, avec la chute de la monarchie, renoncerait à se rendre aux soirées données par la noblesse. Ou plutôt, qu'il renoncerait à s'inviter aux repas où il n'était nullement convié, histoire d'embêter un peu son monde et se rappeler le bon vieux temps, lorsque tout était rose, que les princes étaient encore au pouvoir et surtout, surtout, que ses privilèges étaient encore en place.

Ainsi, ce soir-là, il s'était rendu à la soirée organisée par une quelconque comtesse vieille de quelques millénaires – et dont il avait oublié le nom – accompagné de Theophil qu'il avait laissé, comme à son habitude, se débrouiller tout seul une fois mené à bon port. Il se contentait, de temps en temps, de vérifier qu'il ne faisait aucune bêtise compromettante, avant de retourner à ses affaires. Affaires qui, en ce moment-même, se réduisaient à un duc d'une trentaine d'années dont il écoutait le babillage d'une oreille distraite. Cependant, il tendit soudain l'oreille, brusquement intéressé. Son interlocuteur venait d'interpeler une jeune femme blonde qui passait tranquillement à côté d'eux, la gratifiant de ces termes :

« Voici donc votre charmante fiancée, monsieur le comte. Toutes mes félicitations. Ce sera certainement un très beau mariage. »

Lucien se bénit de ne pas être en train de boire. Dans le cas contraire, nul doute qu'il se serait étouffé au cours de cette annonce inattendue.

"... Pardon ?"

"Si c'est une blague de votre part, elle ne m'amuse pas du tout. Je sais qu'avec tout ce qui se passe vous vous sentez sans doute seul, mais ce n'est pas une raison. Trouvez-vous quelqu'un d'autre."

"Moi ? Voyons, si j'avais voulu lancer une quelconque rumeur de fiançailles, je me serais trouvée une personne dégageant une certaine classe et magnificence que j'ai, malheureusement le regret de vous informer, vous n'avez pas très cher."

"Ne vous inquiétez pas, vous serez sans doute la dernière personne que je choisirais si je devais me marier."

"Votre réactions m'amuse beaucoup. Auriez-vous peur que je m'en prenne à votre chasteté apparente si jamais nous étions fiancés ? Vous êtes sans doute encore un petit garçon pour avoir autant peur de simples fiançailles, non ?"

Décidément, cette soirée promettait d'être riche en rebondissements. Qui aurait pu savoir qu'il se retrouverait fiancée à une garce pareille? Il pensait pourtant que leur animosité réciproque était de notoriété publique. Non, vraiment, il ne pouvait s'agir que de l'œuvre d'un petit malin qui avait décidé de leur faire une farce d'un goût douteux. Il allait falloir mettre fin à ce racontar le plus vite possible. Il ne voulait même pas imaginer les mélis-mélos diplomatiques si jamais leurs familles respectives avaient vent d'un événement pareil – les siens ne seraient certainement que trop heureux et feraient pression pour que le conte devienne réalité, ce qu'il voulait éviter à tout prix. Être obligé d'épouser Ruby par convenance? Il préférait faire vœu d'abstinence pour le reste de son existence – quoique peut-être pas en fait, il n'était pas sûr de pouvoir supporter une telle épreuve.

Il supporta avec un sourire figé les attaques suivantes de la jeune femme, se permettant à l'occasion un bref reniflement mesquin. Il avait l'impression de devoir faire risette à un serpent enragé, ce qui n'était pas forcément agréable.

Il haussa les épaules.

« Ce qui dénote de votre manque de jugeote. Vous n'aurez jamais mari plus tranquille, plus laxiste envers son épouse, et plus aveugle sur les libertés conjugales que vous prendriez. Bien plus facile à supporter qu'un vieux baron attiré par les charmes de la jeunesse. »

Sans compter qu'il avait de nombreux autres atouts, évidemment, bien que la jeune femme refuse de le reconnaître.

Il rit doucement, essayant d'ignorer le ton avec lequel elle avait prononcé ces paroles, qui l'irritait au plus haut point, comme toujours lorsqu'il était amené à parler – croiser le fer aurait été plus approprié - avec elle.

« Si vous n'aviez pas la parole si meurtrière, vous sauriez depuis longtemps que je n'ai rien d'un petit garçon, et que j'ai rarement peur de relations aussi futiles et inintéressantes que celles liées à votre sexe. »

Il la toisa des pieds à la tête, promenant son regard sur son corps séduisant, avant de lui adresser un petit signe de tête.

« En revanche, je serais intrigué par la manière dont une femme de qualité telle que vous gère son innocence. A trop attendre, elle risque d'en devenir amère. »

Ce serait tellement amusant de parvenir à recueillir des informations sur la vie sentimentale de cette jeune femme si agaçante.