Vidal avait parlé à beaucoup de personnes, toutes plus étranges les unes que les autres. Il avait enquêté avec rage et force, s'était couché à des heures pas possibles, quand il n'avait pas carrément fait des nuits blanches. Ce n'était pas vraiment au goût de Chan Dai, sa petite femme, mais l'ex chef de la résistance sentait qu'il se tramait quelque chose derrière son dos. Il voulait agir vite et poser vite la main sur la pièce la plus importante de l'échiquier : Eden.

Avec Eden, il aurait la possibilité de faire du chantage à Armand...chose qu'il pouvait actuellement faire avec du bluff, mais qui n'était pas vraiment convaincant. En bon paranoïaque de base – et il avait certainement raison de l'être – Vidal était persuadé qu'il ne devait se boucher aucune voie. Depuis des mois, il enquêtait sur la disparition d'Eden, et à force de persévérance et de réflexions bien tournées, il avait retrouvé des traces, minimes, mais des traces tout de même. Eden n'était pas morte, au contraire. Il aurait bien été difficile pour cette fille de noble de soudainement se fondre dans la masse populaire. Elle aurait beau toujours prétendre le contraire, des doutes, des petites manières substitueraient...Et c'était ces défauts qui l'avaient certainement trahie. Une princesse, même avec des vêtements de paysan est toujours une princesse, tout comme Vidal voyait à l'habitude des éminentes personnes de l'Assemblée qu'elles n'étaient pas faites pour gouverner.

Vidal tentait d'éviter les flaques de boue, sur le chemin, et se dirigeait tranquillement vers une remise située au cœur de la ville. Il était habillé de vêtements normaux, pour ne pas attirer trop l'attention pour lui : on disait que quelqu'un tuait ceux qui portaient l'uniforme républicain, et même, s'il était ici, ce n'était pas du tout en faveur de l'actuel gouvernement, c'était même, plutôt, dans le but d'assurer ses arrières. Cela aurait été assurément de très mauvais goût. Un léger vent soufflait, et des odeurs familières de poissons, de nourriture fraîche rentrèrent dans ses narines. Les épices, le poulet légèrement rôti à la chair croustillante, les tartes tatins et la gelée. Louis adorait la gelée, il fut une époque où il n'arrêtait pas d'en faire...Aujourd'hui, il aurait bien été incapable de manger ce mets sans se souvenir de la tête du Prince, chutant sur le sol.

Pourquoi avait-il collaborer à rendre le monde aussi dur ? N'y avait-il pas moyen de faire autrement ? Pourquoi ne pouvait-il pas juste partir du Royaume, comme ça, comme ils en étaient venus, il y avait des années ?

Et puis, alors qu'il entrait dans la propriété qu'on lui avait indiquée, Vidal vit une pauvre petite chose près du puits. Ça avait les cheveux gris, un visage tout sali, mais c'était elle, il le savait. Il l'avait trop vue, à demeurer au château, il avait trop analysé ses manières, à force de préparer des plans machiavéliques. C'était la Princesse Eden. Même cheveux, quoique sales, même taille, si elle se relevait en entier. Il ne pouvait distinguer ses yeux, mais il jurerait qu'il y avait cet éclat revanchard qu'il avait vu dans ceux d'Armand. Alors, Vidal, le même Vidal qui avait été chef de la résistance, qui avait causé la chute de la Rébellion, le meurtre de Louis, celui-là même qui avait organisé l'enlèvement de Lord Lucien, Eulalie et quelques autres, Vidal s'avança vers elle, de manière à ce qu'elle puisse l'entendre. Son cœur battait à lui en couper le souffle.

« Je sais qui vous êtes...Je vous ai longtemps cherchée...Je viens de la part de votre frère. Je lui ai parlé. »

Si elle avait une bonne mémoire, Eden se souviendrait de son visage, même si, à l'époque, elle ne faisait sûrement pas attention aux simples serviteurs. Il n'avait pas menti, mais il n'avait pas non plus précisé comment avait-il pu rencontrer Armand, et pourquoi aucun autre que lui ne l'avait fait pour le moment...enfin, c'était ce qu'il pensait.

« J'ai des moyens pour faire changer les choses. »

Si on lui avait prédit ça, dans le passé, il se serait certainement foutu de la tête de l'opportuniste fou. Vidal ne s'inclina pas – il n'avait pas, il n'avait plus à le faire, maintenant, mais il resta juste derrière elle, persuadé qu'il s'agissait d'Eden.

Et que faire, s'il s'avérait que ce n'était pas elle ?