Un domestique guidait Chan Dai dans le château. Elle essayait de le suivre du mieux qu’elle pouvait avec son petit sac rempli de toutes ses crayons pour une première esquisse. Aujourd’hui elle devait réaliser le portrait d’une jeune lady, une comtesse apparemment, mais l’heure était déjà avancée pour démarrer les couleurs. En effet Chan Dai aimait l’effet naturel de la lumière sur les gens et cela était très agréable dans un portrait.
Le domestique la hâtait d’avancer mais elle ne pouvait pas aller plus vite. Elle avait une tenue chinoise traditionnelle rose avec un très léger châle vert et elle avait appris depuis toute petite à marcher doucement et avec élégance.
Selon la lettre, le portrait allait se réaliser dans un salon et il n’y aura, à priori, personne à part l’objet du tableau et elle. Chan Dai espérait une jeune fille bavarde et qui ne demandait pas grand-chose en échange. Effectivement la jeune peinte ne parlait presque jamais quand elle dessinait, au contraire elle préférait se concentrer sur son art.
Sa longue natte ondulée au rythme de ses pas. Aujourd’hui elle s’était coiffée de cette manière, c’est-à-dire sa natte et des sortes de chignon très évasés aux deux côtés tenues par des pinces en formes de papillon. Elle avait également ajouté des fleurs roses qui dégageaient une agréable odeur.
Ses grands yeux marron scrutaient les alentours mais elle ne vit pas grand-chose étant donné que le domestique ne s’attardait pas une seconde en place. Des nobles passaient, des domestiques s’activaient, certains dormaient, des enfants allaient et venaient le rouge aux joues. C’était l’effervescence comme à chacune de ses visites. A cette vision, elle ne put s’empêcher de sourire. Soudaine elle heurta le dos du domestique et laissa tomber son sac par terre. C’était plus comme une sorte de tissus rose rafistolait de façon à ce qu’il y ait un fond profond, un moyen de le tenir mais il n’y avait pas de fermeture. Les crayons s’éparpillèrent et elle se baissa pour les ramasser. Le domestique restait neutre et lui ordonner d’être plus rapide. N’y pouvant plus, elle se leva et le foudroya du regard.

- Si vous m’aidiez, les choses iraient plus vite !

A ces mots elle l’abandonnait et partit vers le salon en question. A force de venir ici et de fréquenter plusieurs fois ces salons pour les jeunes nobles, elle connaissait le plan des pièces. Le domestique était à ses trousses et criait de loin des mots incompréhensibles pour Chan Dai.
Elle arriva enfin devant la porte, toqua et entra dignement. Le domestique ne fit pas autant attention. Il entra presque comme un brute, le visage rouge et essoufflé. En voyant sa stupidité, il sortit, confus, après quelques excuses. Chan Dai se retourna enfin vers la comtesse. C’était une jeune fille blonde à la taille svelte. La petite peintre s’inclina légèrement.

- Bonjour, je serais votre peinte aujourd’hui.

Elle se releva.

- Malheureusement à cause de l’heure tardive, fixée par votre mère, je ne puis que pendre des esquisses. Je devrais revenir pour finir avec les couleurs. Veuillez vous mettre près de cette cheminée.

A peine entrée, elle avait cherché le meilleur angle pour la fillette. Elle cherchait toujours à commencer au plus vite pour pouvoir faire un travail correct sans traîner inutilement.

« … Vous êtes chinoise, non ? Qu’est-ce qu’on mange en Chine ? »

Chan Dai ignorait la réponse pour se concentrait d’avantage sur la préparation de son support et du matériel. Elle releva la tête afin de s’assurer que la comtesse était bien à la place demandée. C’était bien le cas et l’effet était comme elle l’avait prévu.
Elle bougea le chevalet, déjà placé par la mère et ses domestiques, où était posé un cadre. Elle prit un de ses crayons, tailla la pointe et la pointa enfin vers le cadre. Ses yeux se dirigèrent vers la jeune fille. Chan Dai soupira à la vue de l’expression. La comtesse arquait les sourcils, ce qui donnait un très mauvais effet.

- Excusez-moi si je vous ai posé une question à laquelle vous ne pouvez pas répondre. Je m’appelle Aleth, et vous ? Qu’elle est votre nom ?

Chan Dai comprenait qu’il fallait suivre une conversation si elle voulait que la petite personne adopte une attitude de princesse. Heureusement elle connaissait quelques ruses pour parler le moins possible tout en se concentrant à son tableau, tout en faisant plaisir à la demoiselle.

- Je m’appelle Chan Dai, comtesse. Je suis bien chinoise et j’avoue que la Chine est un beau pays. Veuillez tourner votre tête vers la fenêtre légèrement, relevez votre menton, ayez un air pensif, tenez-vous droite et croisez vos mains en gardant les coudes sur l’accoudoir.

Elle parlait longuement que pour ses instructions. Quant à sa vie privée, elle ne se montrait pas bavarde avec les étrangers ou un noble de la cour à peine connue. Elle voyait l’air perdu ou encore les gestes maladroits de la comtesse. Chan Dai posa ses crayons et s’approcha doucement et avec une certaine tenue.
Arrivée au niveau de son modèle, elle se pencha et commençait à placer les mains, à tournez la tête, à remonter et à tapoter délicatement le dos pour l’obliger à tenir droit. Il fallait qu’elle ait un air de supériorité selon les dires de sa mère. Chan Dai sentait son parfum, vanille aujourd’hui, se mélanger à celle de la jeune fille. Enfin elle se détacha pour s’installer derrière son chevalet et commencer ses esquisses.

- Très cher comtesse, le temps nous ait comptés et je voudrais finir mes esquisses avant que le soleil décline. Par conséquent je ne puis parler beaucoup.

Finalement elle traça le premier trait. Il était sec, léger et décidé à la fois. Chan Dai aimait toujours faire un premier trait ainsi et finir ainsi. Ses yeux viraient toujours de son modèle à son tableau sans aucun répit. Au tout début ce geste l’épuisait mais à force c’était devenu une habitude et elle ne ressentait absolument aucune fatigue. Son crayon se promenait sur la toile par petit coup de droite à gauche, de haut en bas et en diagonale. Il émettait un son agréable aux oreilles de la jeune chinoise. Elle se rendait compte qu’elle avait oublié de parler un petit peu pour ne pas offenser la jeune comtesse.

- Vous avez la une bien jolie robe comtesse. Evitez de baisser la tête s’il-vous-plait, dit-elle d’une voix mielleuse.

C’était le geste que tous font. En effet, à chaque fois la personne baissait son regard comme si elle avait oublié ce qu’elle avait mis ce matin. Un geste naturel et commun à tous. C’était pour cette raison qu’elle précisait toujours de ne pas faire si ou ça. Alors on se dirait « qu’elle le dise pas alors ! ». Il y avait là un autre problème, si elle ne disait rien, la personne en question commencerait à être curieuse sur la vie privée du peintre.
Elle s’arrêta et regarda par la fenêtre.

- Comtesse détendez-vous, il nous reste encore assez de temps pour que je finisse les premiers traits. Vous devez bien être fatiguée. Voulez-vous une boisson ou une sucrerie ?

Elle avait encore beaucoup à faire mais les traits principaux étaient dessinés. Maintenant il fallait ajouter les détails, ce qui était assez simple.

- En Chine, pour le peu que je m'en souvienne, nous mangions du riz continuellement. Nous étions pauvres à ce moment-là donc nous mangions peu à la maison, juste de quoi nous nourrir pour ne pas mourir.

Elle pensait qu'il fallait au moins répondre étant donné que la jeune comtesse ne s'était pas montré insupportable. Malgré ses questions incessantes souvent sans réponse de la part de la jeune peintre.

- Vous ne semblez pas si pauvre que ça maintenant, si vous voulez mon avis il vaudrait mieux pour vous ne pas regarder en arrière. Au fait, j’ai deux questions et une explication. D’abord, il faut que vous sachiez que je parle des fois toute seule et qu’il ne faut pas vraiment écouter ce que je raconte mais au contraire m’interrompre. Ensuite, pourquoi vous forcez-vous à parler alors que vous n’en avez pas envie ? Enfin, le riz, c’est quoi au juste ?

Chan Dai rit intérieurement et afficha un petit sourire. Elle avait eu raison sur le caractère de la comtesse qui lui faisait face.

- Je vous parle, comtesse, pour que vous puissiez adopter la posture que je désire. Par expérience je sais qu'il faut toujours comblé les désirs du modèle pour que celui-ci soit docile à mes exigences. J'ai su que vous vouliez parler grâce à votre bavardage.

En effet Chan Dai l'avait très vitre comprise et ses hypothèses furent confirmées par la jeune personne. Autant dire que Chan Dai n'aimait pas les discours sans réponses ou qui lui casse littéralement les oreilles. Ensuite il faut trouver la réponse pour le riz. Là c'était plus problématique, comment expliquer ce que c'est le riz?

- Quant au riz, je dirais un féculent nourrissant et bon. Elle a la forme d'une amande, c'est petit et c'est blanc. Il pousse dans les rizières avec de l'eau en abondance. En Chine on en mange souvent.

Son explication était bancale mais elle ne voyait pas comment expliquer autrement. Chan Dai pensait que les nobles en avaient mangés au moins un fois dans leur vie. Finalement elle ne connaissait pas leurs coutumes autant qu'elle le prétendait. Elle jetait un regard circulaire dans la pièce et ne trouva rien d'intéressant dans ce faste et ce luxe. Ces décors somptueux ne lui inspiraient absolument rien, juste l'ennuie. De plus ils lui rappelaient ses futurs fiançailles en approche. A cette idée elle grimaça à contrecœur. Elle connaissait même pas le nom car son père s'entêta à se taire et pendant la réunion aucun domestique ne l'avait prononcé. Par timidité, elle n'osa pas le demander. En effet poser une telle question dans une telle situation serait idiot et friserait la stupidité. D'ailleurs sa futur famille connaissait son prénom, son âge et même ses talents.
Elle poussa un long soupir et demanda à la comtesse de reprendre la même position d'une voix morne et éteinte. C'était un son inhabituel de l'ordinaire.

- S'il vous plaît comtesse, évitez de vous gratter le bras ou ailleurs. Ces gestes, aussi bref soient-ils, me perturbent au plus haut point. De plus je compte attaquer les détails maintenant, par conséquent une tenue rigide est primordiale.

C'était la pure vérité. Heureusement qu'à ce moment Chan Dai ne dessinait pas la main ou le visage en question. Par contre elle comptait dessiner les traits les plus précis, les zones d'ombres et de lumières et l'expression du visage le plus fidèlement possible en très peu de temps.

- De plus le temps joue en notre défaveur.

Chan Dai était très concentrée et essayait de retranscrire chaque expression et chaque trait avec la plus grande précision. Enfin elle une vingtaine de minutes s’étaient écoulée et elle avait pu finir dans les détails voulus la robe. Le décor était facultatif et pourrait même être réalisé sans le modèle.
Enfin elle comptait enchaîner rapidement avec le visage mais elle abandonna l’idée. La comtesse était épuisée. Sa voix retentit dans la pièce silencieuse doucement et où la fatigue était très visible.

- C’est bientôt terminé ?

Sur ces mots elle ferma ses paupières. Chan Dai laissa ses crayons et s’avança vers la fenêtre. Le soleil laissait définitivement la place à la lune. Ce soir elle ne pourra rien écrire ni publier, le portrait et la couture de ce matin l’avaient considérablement épuisé. Soudain son ventre grogna de faim. Elle grimaça, elle ne pouvait pas s’offrir un quelconque déjeuné au château, la mère a été stricte sur ce point-là. Elle jeta un coup d’œil à la comtesse endormit et vit que la position de celle-ci n’était pas l’idéal pour dormir. De plus elle ne voulait pas d’un modèle avec des courbatures le lendemain en fin d’après-midi.
Elle fit sonner un des domestiques et demanda à l’emmener. Mais la réponse de ce dernier la laissa perplexe.

- Je ne peux pas la peintre, le dédain était visible, ]Madame désire le portrait fini aujourd’hui même.

A ces mots il regarda la toile. Il fit un claquement de doigt et un autre domestique avec son sac apparut. Il y avait toutes ces peintures, plus ce payé par la mère d’Aleth. Chan DAi observait tout ceci sans sourciller et jetait un regard morose aux domestiques.

- Amenez-moi donc du riz et quelques autres mets de qualité. La demoiselle va rester encore plus longtemps que prévu, elle aura faim. Soyez diversifié dans vos menus et que les plats soient délicieux ! De plus allongez la comtesse sur ce sofa sans la réveiller. Je me chargerais de cette besogne plus tard quand les plats arriveront.

Son aversion pour les nobles était définitive. Ce n’était pas la première qu’un tel ordre lui fut donné, son père ne protégeait pas la santé de sa fille, mais cela la gênait quand le modèle était une adolescente épuisée et inhabituée à poser aussi longtemps. Elle s’assit derrière sa toile et démarra le décor en essayant de trouver une solution pour le visage et l’atmosphère. Elle essayait d’imaginer toutes les possibilités selon les exigences qui étaient brillante comme un rayon de soleil. Une telle ombre dans une pièce éclairait par de simple bougies et un ciel bleu-sombre qui indiquait qu’il se faisait tard n’était pas l’idéal. En effet un beau soleil était l’idéal.

- Je suis donc obligée d’inventer ce jeu de lumière. Bien. Au boulot Chan Dai !

Elle respira un gros cou, retroussa ses manches et se mit dans une position peu convenable mais très pratique. Il n’était plus la peine de faire des chichis de convenances de plus l’intéressée dormait à poing fermé.
Ainsi les yeux de Chan Dai faisaient des allers-retours entre la toile, la demoiselle et sa palette de peinture. Quand les domestiques arrivèrent, elle ne changeait en rien sa position et continua toute concentrée. Chacun rigolait d’elle mais s’ils voyaient le résultat qui prenait forme, il se serait tu. Effectivement Chan Dai avait choisi les couleurs idéales et un bon point de lumière, on aurait l’impression que la toile fut peinte en pleine journée grâce à la robe et aux décors. Malheureusement le visage restait vide entouré d’une touffe de cheveux. Elle entendit quelques gémissements et se retourna. Il serait temps de la réveiller pour en finir pour de bon.
Elle se leva et s’approcha de l’adolescente.

- Réveillez-vous mademoiselle. Du riz vous attend.

Elle trouvait étrange qu’Aleth n’ai jamais goûté à du riz. Finalement les nobles n’avaient pas tout apparemment. Les paupières de sa jeune modèle s’ouvrirent doucement et Chan Dai affichait le sourire le plus bienveillant possible.

La jeune comtesse ne broncha pas et s’avança à nouveau vers la table. Chan Dai remarquait qu’elle titubait légèrement et s’était laissé tomber sur sa chaise doucement. La jeune peintre avait compris que la jeune adolescente était épuisée. Aleth commença à manger, ces premières bouchées étaient lentes et elle mâchait mollement mais rapidement elle accélérait l’allure. Finalement elle avait terminé son assiette en quelques minutes et son visage avait retrouvé des couleurs.

- Je vais mieux ! Je vais aller sur le canapé, comme ça si je me rendors par mégarde j’aurais moins mal… En plus il y a plus de lumière par là.

Chan Dai ne répondit mais fit un petit sourire au coin. La lumière n’était pas son problème majeur, elle pouvait la créer elle-même avec quelques subtils mélanges. Le plus important était bien l’expression du visage, si elle ne véhiculait pas une certaine idée alors un tableau, aussi précis et aussi beau, ne servait à rien selon son optique.
La jeune lady reprit sa position et garda cette fois-ci la pose voulue et ne bougea presque pas. De plus elle s’était décidée à ne plus parler au plus grand plaisir de la jeune peintre. Les petits bruits, à peine perceptible, et ces tracées sur la feuille ou encore le tapotement du pinceau sur la toile la stimulaient. Une voix humaine détruisait toute cette atmosphère et la gênait énormément.
Enfin elle donna un dernier coup de pinceau au bout d’une trentaine de minute et observa son œuvre d’un œil critique. Avec les conditions et la limite même du temps, le résultat restait correct. Elle pouvait être très perfectionniste dans certaines œuvres qu’elle faisait.

- Lady Aleth j’ai fini votre portrait. Merci de votre patiente et votre coopération.
- Déjà ?!Je pensais qu’on en aurait encore pour au moins une heure !
- Je n’avais que le visage à peindre Comtesse.
- Je peux voir ? Je me demande depuis toute à l’heure à quoi je pourrais bien ressembler…

Chan Dai se leva et laissa suffisamment de place à la jeune fille pour contempler son propre portrait. Ses traits exprimaient une certaine stupéfaction. C’était un phénomène assez fréquent pour ceux qui n’était pas habitué. En effet c’était différent d’un miroir qui nous reflétait tel que nous étions et sans aucun effet.

- Tu es vraiment très très douée…
- Vous me flattez Comtesse.

Chan DAi voyait bien qu’Aleth voulait encore parler mais ses yeux ainsi que ses traits trahissaient son épuisement. Chan Dai l’était également et en plus elle avait faim. Elle regarda à nouveau la table et détourna aussitôt le regard, elle n’avait pas le droit en tant que femme du peuple.

- Je pense qu’il serait temps de rentrer. Sincèrement, vous comme moi, nous sommes fatiguées et nous ne désirons qu’un bon lit douillet. Si vous voulez encore me parler ou si vous avez besoin de mes services de couturières, venez à mon atelier. Je couds également de jolies robes. Quant au tableau les domestiques le chercheront pour l’encadrer. Sur ces paroles Lady Aleth je dispose et vous dis une bonne et agréable nuit.

Le ton pourrait paraître froide mais la lassitude qui s’entendait montrait clairement que Chan Dai ne tenait presque plus debout. Elle s’inclina, fit sa révérence correctement, sonna les domestiques et quitta la pièce avec un dernier sourire chaleureux envers la jeune comtesse.
Dans le couloir elle s’étira et pensa à la suite de sa critique qu’elle avait commencé la veille. Il faudrait qu’elle le poste.